FRANCIS PICABIA<br/><br/><br/><br/>LA LOI<br/><br/>D’ACCOMMODATION<br/><br/>CHEZ LES BORGNES<br/><br/>SURSUM CORDA<br/><br/>(FILM EN 3 PARTIES)<br/><br/><br/><br/>EDITIONS TH. BRIANT<br/>32, Rue de Berri<br/>PARIS<br/><br/><br/><br/>--<br/>
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FRANCIS PICABIA<br/><br/>LA LOI D’ACCOMMODATION<br/>CHEZ LES BORGNES<br/><br/>” SURSUM CORDA ”<br/><br/>(FILM EN 3 PARTIES)<br/><br/>ÉDITIONS TH. BRIANT<br/>32, Rue de Berri<br/>PARIS<br/>
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LA LOI D’ACCOMMODATION CHEZ LES BORGNES<br/><br/>“SURSUM CORDA ”<br/><br/>(Film en 3 parties)<br/><br/>PERSONNAGES :<br/><br/>LE CUL-DE-JATTE.<br/><br/>L’AMÉRICAIN.<br/><br/>LE CURÉ.<br/><br/>LE MARCHAND DE CARTES TRANSPARENTES.<br/>LE COUREUR A BICYCLETTE.<br/><br/>L’ARTISTE PEINTRE.<br/><br/>L’AGENT DE LA SÛRETÉ,<br/>et LA MANUCURE.<br/><br/>Employés, agents, juges, mannequins, foule, etc., etc...<br/>
Du même auteur :<br/><br/>ENTRACTE, film.<br/>
PRÉFACE<br/><br/>Il riy a vraiment que les fous qui sachent ce qriils font,<br/>ils sont absolument conscients de leurs gestes ; le fou ri invente<br/>rien, il imite. Il y a le fou furieux dit-on ? Eh bien, celui-là<br/>m est assez sympathique, sa fureur étant sans but.<br/><br/>Les peuples, eux aussi, sont pris parfois de folie<br/>furieuse; de temps en temps ils ont leur crise, mais, pour des<br/>actes qui mériteraient le cabanon, ils se décernent des croix<br/>d’honneur !...<br/><br/>Ce petit préambule ria rien à voir, semble-t-il, avec<br/>mon film, il est pourtant intimement lié à ce qui va suivre —<br/>contenant et contenu, espace et temps — comme tu voudras !...<br/><br/>“ LA LOI D’ACCOMMODATION CHEZ LES<br/>BORGNES ” est une histoire de crime, mais il ri y a pas de<br/>crimes, pas même de crime de lèse-réalité, il y a des petites<br/>conventions bien absurdes qui se déplacent en sautillant sur<br/>une jambe, de gauche à droite, et de droite à gauche.<br/>
Je vais donc vous demander de bien vouloir, pendant<br/>quelques instants, vous rendre à mon cinéma ; toutes les places<br/>y sont bonnes, et il vous est facile d’obtenir la meilleure ; vous<br/>pouvez vous installer dans votre lit pour voir tourner !...<br/><br/>J’ai entendu dire que le scénario, ce n’était rien... C’est<br/>pour cela que je demande à chacun de mes lecteurs de mettre<br/>en scène, de tourner pour lui-même sur l’écran de son imagi-<br/>nation, écran véritablement magique, incomparablement supé-<br/>rieur au pauvre calicot blanc et noir des cinémas, dont les<br/>orchestres me font penser aux chiens qui aboient après les<br/>masques de Mi-Carême !... — Mi-Carême... récréation de<br/>Vabstinence partagée par la bêtise des conventions sanitaires.<br/><br/>Tournez vous-mêmes en lisant “ La Loi cTAccommoda-<br/>tion chez les Borgnes ”, les places sont toutes au même prix, et<br/>on peut fumer sans ennuyer ses voisins<br/><br/>FRANCIS P1CAB1A.<br/>
PREMIÈRE PARTIE<br/>
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PREMIÈRE PARTIE<br/><br/>Présentation des personnages faite par un photographe,<br/>visible sur l’écran, il les disposera en groupe, un à un (attitude<br/>de groupe de famille).<br/><br/>Le Marchand de cartes, qui est en même temps pro-<br/>fesseur de théologie à la Sorbonne, arrive en costume<br/>Universitaire et s’habillera, pour poser, en marchand ambu-<br/>lant (vue de son éventaire de cartes licencieuses : nus animés).<br/><br/>Présentation en totalité d’un immeuble à Paris, quartier<br/>central, maison d’angle.<br/><br/>Détails du rez-de-chaussée :<br/><br/>Institut de beauté donnant sur deux rues, vitrines exté-<br/>rieures dans lesquelles on voit des poupées tournantes, femmes<br/>en hommes, et réciproquement, ces poupées feront des gestes<br/><br/>— 11 —<br/>
d’invite aux passants, clins d’œil et sourires, juste au moment où<br/>ceux-ci s’arrêteront pour les regarder. Affiches animées, genre<br/>Palmolive, composées en tableaux vivants.<br/><br/>La bijouterie à côté: vitrines éblouissantes, scintillement<br/>de pierres précieuses attirant les passants dans une sorte de<br/>halo, comme un miroir à alouettes, réclames lumineuses, genre<br/>Citroën, etc.<br/><br/>On verra autour des deux magasins, sur le trottoir, le<br/>Cul-de-jatte et le Marchand de cartes (ce dernier, malgré<br/>son apparence misérable, restera très distingué d’attitude et de<br/>gestes). Tous deux se promènent de long en large, le Cul-de-jatte<br/>cherchant à apercevoir ce qui se passe à l’intérieur, surveillant<br/>les entrées et les sorties ; le Marchand de cartes, lui, presque<br/>extatique, fait sans cesse le tour de l’Institut, car, au travers des<br/><br/>vitres, il aperçoit la Manucure.<br/><br/>Intérieur de la bijouterie : Grand luxe, comptoir spécial de<br/>bijoux pour animaux: Des dames entrent accompagnées de chats?<br/>chiens, singes, moutons apprivoisés, et leur achètent des parures de<br/><br/>brillants. L’Américain très considéré dans la maison<br/><br/>vient acheter une rivière de diamants qu’il destine à la Manucure<br/><br/>(vision de celle-ci parée du bijou).<br/><br/>Intérieur de l’Institut de beauté : des gens extrê-<br/><br/>mement vieux, laids, difformes, entrent. Ils ressortent<br/><br/>12 —<br/>
ravissants. La Manucure est en costume d’infirmière,<br/>mais, derrière seulement, décolletée en pointe jusqu’à la taille,<br/>jupe très courte, au-dessus des genoux, presque un tutu. Très<br/>jolie, blonde, elle va de l’un à l’autre, conseille, rectifie, dirige ses<br/>aides avec autorité ; tout le monde veut avoir à faire à elle ;<br/>l’Américain entre, il demande à se faire faire les ongles, durant<br/>ce travail, il lui fait la cour— coquetterie.<br/><br/>Le Cycliste vient se faire masser, la Manucure lui marque<br/>une préférence tendre. Le Curé vient acheter des parfums,<br/>il demande à les essayer d’abord sur les mains de la Manucure,<br/>qu’il respire ensuite avec volupté.<br/><br/>Le Peintre entre et demande une fausse-barbe en crêpé, il<br/>désirerait acheter un manuel sur “ L’Art de se grimer ”. Il a la<br/>folie du déguisement.<br/><br/>L’Agent de la sûreté entre et demande des fards pastel,<br/>qu’il voudrait employer pour “ remonter ” des tableaux pâles...<br/><br/>Le Marchand de cartes que l’on voit toujours à l’une ou<br/>l’autre vitrine, contemplant la manucure, la prend pour une<br/><br/>sœur de charité, il a des visions de dispen-<br/><br/>SciirC, il offre au passant sa marchandise, tout en dévidant<br/>son chapelet, puis il achète une rose blanche et entre à l’Institut<br/>pour l’offrir dévotieusement à la Manucure, dont il baise la robe,<br/>il la voit telle une sœur blanche.<br/><br/>— 13 —<br/>
Chaque fois que s’ouvrira la porte, on apercevra le Cul-<br/><br/>de-jatte aux aguets, il prend des notes. Sept<br/><br/>heures, la boutique se vide, seuls, peu à peu demeurent les<br/>personnages qui sont des habitués et se connaissent entre eux,<br/>habitant le même immeuble. La Manucure apporte des cocktails,<br/>le Marchand de cartes semble communier avec le sien.<br/><br/>L’Américain leur annonce qu’il va offrir une grande<br/>soirée chez lui en l’honneur du SpOFt frcinÇcllS et à<br/>l’occasion de la course des Six Jours ; il les invite tous et apprend<br/>à la Manucure qu’elle sera ce soir-là, couronnée reine du<br/>Sport ; il lui a fait faire une très belle toilette en vue de cette<br/>cérémonie et lui offrira une importante surprise, en souvenir...<br/><br/>Le Cycliste semble ombrageux, mais l’Américain fait<br/>diversion en donnant connaissance du programme de la fête,<br/>paru dans un journal du soir, soit :<br/><br/>1° Réception d’une délégation de l’Association Amicale des<br/>Sports et des Jeux de hasard, et d’une délégation de l’U. L. V. S.<br/>(Union Légitime des Victimes du Sport) ;<br/><br/>2° Grand ballet sportif — danses modernes ;<br/><br/>3° Couronnement de la Manucure ;<br/><br/>4° Souper.<br/><br/>Ils acceptent l’invitation.<br/><br/>L’Américain, en sortant, embauche le Marchand de cartes<br/><br/>— 14 —<br/>
pour distribuer les programmes, et il invite le Cul-de-jatte à<br/>précéder la délégation de l’U. L. V. S., à titre de victime du<br/>footing par usure !...<br/><br/>Il monte ensuite au premier étage de l’immeuble chez un<br/>couturier où il assiste au défilé des mannequins : robes<br/>extravagantes et costumes de bains “gonflés” pour<br/>Deauville, série des “ costumes nus ” (nus peints sur<br/>des maillots).<br/><br/>L’Américain se fera montrer la robe qu’il a commandée<br/>pour la Manucure, c’est une robe somptueuse et décolletée<br/>dans laquelle on reconnaît les éléments d’un COStume de<br/><br/>dompteur.<br/><br/>Dans les mannequins qui présentent les modèles, il lui<br/>semble parfois reconnaître celle qui le préoccupe de façon<br/>absolue. Il sort et monte chez lui, étage au-dessus.<br/><br/>Appartement de grand luxe et de grande fantaisie, les<br/>fauteuils sont suspendus au plafond, comme des agrès de gym-<br/>nastique, à différentes hauteurs, une poulie manœuvrée par un<br/>domestique en livrée, permet d’y accéder. L’Américain se rend<br/>dans son cabinet de travail dont le seul meuble est UIl énorme<br/>Coffre-fort vide, il y serre le bijou acheté pour la Manu-<br/>cure ; puis il se fait monter dans le plus haut fauteuil et s’endort<br/>en lisant “ La Vie de Bohème”.<br/><br/>— 15 —<br/>
Étage au-dessus : Appartement du Curé — celui-ci<br/>rentre chez lui ; grand nombre de statues de Saillt-Sulpice<br/>auxquelles le Curé fera le salut militaire, elles prendront<br/>alors l’apparence de la Manucur 0. Il déballe son paquet<br/>de parfums, les répand aux pieds des statues ; au dernier i!<br/>hésite, puis l’avale d’un trait, il se met alors à taper furieu-<br/>sement sur un punching-ball.<br/><br/>Etage au-dessus : Appartement de l’Agent : des tableaux<br/><br/>partout, des “ tableaux modernes L’Agent ne<br/>rêve que peinture et collection, comme son ami le<br/>Peintre ne rêve que romans policiers, intrigues, crimes, etc...<br/>L’Agent accroche ses dernières acquisitions, le dernier tableau<br/>qu’il met en place représente un feu d’artifice, à ce moment<br/><br/>ce tableau explose et le couvre de gravois!<br/><br/>Le Peintre entre, il aide son ami à se dégager, l’Agent voudrait,<br/>pour remplacer l'œuvre détruite que le Peintre lui fasse le portrait<br/>de la Manucure en Reine des Sports, celui-ci accepte<br/>à condition que l’Agent lui prête pour quelque temps tous ses<br/>papiers de la préfecture et lui confie la première affaire<br/>criminelle à instruire.<br/><br/>Le Peintre rentre chez lui, étage au-dessus, atelier très<br/>pauvre dans lequel il n’y a aucun tableau, au moment où il<br/>ouvre la porte, il demeure stupéfait, car il assiste à une véritable<br/><br/>— 16 —<br/>
répétition théâtrale : des personnages jouent des sketches repro-<br/>duisant les couvertures des “ Fantômas ” célèbres ; en voyant le<br/>Peintre, ils s’arrêtent, tout doucement ils s’immobilisent, se<br/>réduisent, et bientôt ne sont plus que des personnages figurant<br/>sur les couvertures des volumes épars, le Peintre se frotte les<br/>yeux, il a rêvé, sans doute... mais un seul petit personnage rape-<br/>tissé, le cocher du “ Fiacre de Nuit” se promène encore, et même<br/>voltige dans la pièce. Le Peintre finit par l’attraper avec un filet<br/>à papillons, à ce moment, il disparaît, le “chasseur” déçu s’assure<br/>que les papiers donnés par le Policier sont bien authentiques et<br/>en place dans son portefeuille; il ramasse à terre un des volumes,<br/>s’installe pour lire, et s’endort. Le cocher revient dans son<br/>rêve en le taquinant...<br/><br/>Etage au-dessus : trois portes sur le palier (l’escalier,<br/><br/>depuis le troisième a toujours été en se rétré-<br/>cissant, la maison en s’appauvrissant, ia<br/><br/>montée en devient ardue et comme étirée). La Manucure<br/>monte, arrivée à la chambre n° 1, elle prend sa clef et entre :<br/>Chambre très Sordide et désordonnée, aux murs des gra-<br/>vures découpées dans “ Le Petit Parisien Illustré ”, partout<br/><br/>traînent des bas à raccommoder, elle dépose<br/><br/>son manteau, son costume, passe un peignoir démodé et<br/>défraîchi, enlève sa perruque et apparaît coiffée de ridicules<br/><br/>17<br/>
petites nattes, elle est très brune. Elle met des pantoufles très<br/>“ savates ”, ses bas tombent, elle se graisse la<br/>flglire, se met au lit, rêve de l’Américain (bijoux, luxe,<br/>Rolls-Royce), puis du Cycliste (amour, tandem, repas sur l’herbe).<br/>Les deux personnages se confondent, se superposent, et tels des<br/>équilibristes, montent sur les épaules l’un de l’autre, ils s’écroulent<br/>en même temps, ne sont plus que des morceaux épars que le<br/>Cul-de-jatte ramasse en tas dans son chariot qu’il traîne alors à<br/>toute vitesse, tout s’estompe...<br/><br/>La chambre n° 2, celle du Marchand de cartes postales, elle<br/>est très virginale cette chambre; au lit, des rideaux de<br/>mousseline, un grand crucifix et branche de buis,<br/>images pieuses, impression d’austérité, le Marchand de<br/>cartes prépare son cours de théologie pour le lendemain,<br/>puis fait l’inventaire de sa vente de cartes, il met son béné-<br/>fice dans une tirelire et explique à son chien que cet argent est<br/>destiné à l’achat d’une statue équestre de Jeanne d’Arc,<br/>grandeur nature. Il se met à table après avoir récité le<br/>Bénédicité, et prépare, tout en mangeant, sa collection<br/>pornographique pour le lendemain.<br/><br/>La chambre n° 3 : Chambre du Cycliste, très pauvre aussi,<br/>mais en ordre, accessoires de cyclisme, chambres à air,<br/>maillots rayés, etc...<br/><br/>18 —<br/>
Le Cycliste fait des “ patiences” qui ratent toutes. On frappe<br/>à sa porte, entre un chasseur qui lui remet une lettre du Curé.<br/>Ce chasseur est habillé mi-ange, mi-chasseur. Par cette<br/>lettre, le Curé demande au Cycliste la permission d’assister le<br/>lendemain à son entraînement au vélodrome, le Cycliste donne<br/>une réponse affirmative. Il se replonge dans ses réussites, la<br/>dame de cœur a la figure de la Manucure, mais elle n’est jamais<br/>dans le jeu, elle tourne autour du Cycliste; fatigué, il jette les<br/>cartes et s’endort en pédalant dans le vide.<br/>
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DEUXIÈME PARTIE<br/>
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DEUXIÈME PARTIE<br/><br/>Le lendemain au vélodrome.<br/><br/>Le Cycliste, pour se donner l’habitude du public,<br/>a fait placer dans les tribunes une quarantaine de IllctnnC-<br/>quins très ordinaires, semblables à ceux qu’on voit<br/><br/>• • r<br/><br/>aux vitrines des magasins de province, ÏÏlciri66S, sergents<br/>de ville, enfants de toutes tailles, premiers communiants, un<br/><br/>général en grande tenue, un marin, un académi-<br/><br/>cien, un chauffeur, etc., etc... Lorsque le Cycliste passe devant eux,<br/>ils lèvent automatiquement les bras. Le Cycliste donne bientôt<br/>des signes d’effort, puis de fatigue. Le Curé, qui est seul vivant<br/>au milieu des mannequins, quitte alors précipitamment<br/>sa SOlltane, apparaît en CaleÇOn, attrape le képi du<br/>mannequin-général et s’en coiffe, puis saute sur une bicyclette<br/><br/>— 23 —<br/>
et entraîne le Cycliste à toute allure, les mannequins<br/>applaudissent. Ils font ainsi plusieurs tours, bientôt<br/>suivis par tous les mannequins sur patins à roulettes, enfin, ils<br/><br/>sortent du vélodrome et, traversant Paris , arrivent<br/>(enfin) chez l’Américain en pleine soirée, toujours escortés<br/>des mannequins. Ceux-ci s’immobiliseront parmi les invités<br/>de la Soirée, tandis que le Cycliste et le Curé termineront<br/>leur élan par quelques tours de salon.<br/><br/>SOIRÉE CHEZ L’AMÉRICAIN<br/><br/>Celui-ci reçoit ayant à ses côtés la Manucure en<br/>grande toilette. Défilé de la Délégation des Victimes du<br/>Sport ayant en tête le Cul-de-jatte : déformations pro-<br/>fessionnelles monstrueuses, toutes les têtes trop<br/>petites pOUr les corps, quelques corps sans tête,<br/>développements thoraciques anormaux par rapport aux jambes<br/>étiques, ou réciproquement, etc., etc..., en dernier lieu, 11116<br/>femme enceinte suivie de dix enfants de 10 à 1 an.<br/><br/>Le Marchand de cartes transparentes, à quelques pas,<br/><br/>regarde la Manucure, et semble ébloui par elle,<br/>mais il la voit telle la Sainte-Vierge , il veut lui offrir<br/>Une image pieuse qu’il choisit dans son portefeuille, mais<br/>dès que celle-ci a passé dans les mains de la Manucure, elle se<br/><br/>— 24 —<br/>
transforme en carte licencieuse. La Manucure éclate de<br/>rire, le Marchand de cartes ne comprend pas.<br/><br/>Jazz infernal, lumière aveuglante,<br/><br/>sur des plateaux les domestiques passent des lunettes noires et<br/>des cotons spéciaux pour les oreilles, destinés aux gens incom-<br/>modés par le bruit et la lumière. Un autre, au<br/>buffet, verse dans un grand récipient une vingtaine de bouteilles<br/>de champagne qu’il sert ensuite aux consommateurs, à l’aide<br/>d’une éponge qu’il presse dans leur verre. L’Amé-<br/>ricain entoure beaucoup la Manucure qui fait très maîtresse<br/>de maison, elle lui rappelle la surprise promise, il se réserve de<br/>la lui remettre tout à l’heure, à l’issue de la fête. Le Cycliste<br/><br/>rôde jalousement autour d’eux, le Cul-de-jatte<br/><br/>ne perd rien de ce qui se passe ou de ce qui se dit parmi les<br/>six personnages. Le Peintre qui fait très agent en bour-<br/>geOlS, profite de l’autorité que lui confèrent ses papiers, pour<br/>arrêter à chaque instant les couples qui dansent, et prier les<br/>hommes d’exhiber leur permis de conduire, faute de quoi<br/>il verbalise... Le véritable agent très intéressé par<br/>les tableaux, ne peut résister à quelques tOlleS<br/>modernes qu’il décroche subrepticement, et<br/><br/>met de côté pour sa collection; il sera surpris par le Cul-de-<br/>jatte, lequel va de l’un à l’autre, toujours à l’affût.<br/>
Grand ballet sportif où on pourra faire<br/><br/>régner ' toute la fantaisie ; l’agitation est à son comble, Oïl<br/>boit énormément au buffet, l’Américain fatigué cherche<br/>en vain à s’isoler ; il va à sa chambre, mais, là les sportifs<br/><br/>ont organisé un match de boxe. Dans le cabinet<br/><br/>de travail, les victimes du sport tiennent un meeting, ils<br/>réclament le droit cl 1 inceste, aucune femme ne<br/>pouvant supporter leurs infirmités, en dehors des<br/>femmes de leurs familles...<br/><br/>Dans la cuisine, le Curé, complète-<br/>ment saoul, veut absolument dire la<br/>messe sur le fourneau.<br/><br/>Le Marchand de cartes cherche à placer sa<br/>collection pornographique, en assurant que chaque<br/>acheteur aura droit à une indulgence plénière.<br/><br/>Le Cul-de-jatte va au buffet et s’empare<br/>d’un couteau qu’il affûte contre sa roue.<br/><br/>Tout le monde est ivre.<br/><br/>L’Américain découragé ne trouve comme<br/>endroit solitaire que les W.C., il y entre, s’écroule<br/>sur le siège, s’endort profondément, en négligeant de fermer<br/>la porte.<br/><br/>Ici, sorte d’entr’acte — le sommeil de l’Américain : vues<br/><br/>— 26 —<br/>
d’Amérique, ports, usines, élevages de bestiaux, puits à pétrole,<br/><br/>jazz nègre, le portrait de Lincoln, etc., etc..<br/><br/>La Manucure, en fantôme, se promène à travers tous<br/>ces paysages.. puis, tout doucement, tout dispa-<br/><br/>raît....<br/><br/>Enfin, dans l’appartement, c'cst l’aube. Le plus grand<br/>désordre règne : chaises renversées, le coffre-fort<br/>énorme est ouvert et vide, à terre l’écrin brisé<br/><br/>du bijou destiné à la Manucure, les invités<br/><br/>sont partis, seuls cinq des six personnages sont là endormis,<br/>entourés de mannequins qui ont des attitudes horrifiées,<br/><br/>par ce qu’ils ont vu, peut- être. Le Cul-de-jatte,<br/><br/>lui, est bien éveillé et tourne comme un fou, ivre de joie<br/>autour des meubles et des dormeurs. Cependant,<br/>il heurte et réveille le curé, qui est maintenant revetu de<br/>son surplis et de son étole, il secoue les autres qui<br/>s’éveillent, à leur tour, peu à peu : Où est l’Amé-<br/><br/>licain f II faudrait prendre congé, remercier !... La<br/><br/>Manucure voudrait bien le bijou qu’elle attend tou-<br/><br/>• __<br/><br/>jours... « Vous l’aurez bientôt, souffle le Cul-de-jatte, si vous<br/><br/>n’en parlez pas... » On cherche 1 Américain par-<br/>tout, sans SUCCès ; devant la porte maintenant fermée,<br/>des W.C., on s’interroge, on pense que f Américain<br/><br/>27 —<br/>
est là, souffrant peut-être ? Sur la porte, une pan-<br/>carte : ‘ Cabinet Particulier ” J qu’importe, le<br/><br/>Cul-de-jatte propose d’enfoncer, car on frappe<br/>sans réponse ; acceptation, mais la porte résiste, le Cul-<br/>de-jatte fait apporter une planche sur laquelle il se fait<br/>hisser, et qu’on incline vers la porte, le chariot roule et<br/><br/>défonce. Horreur !... L’Américain est là,<br/>à terre, la gorge tranchée, baignant dans<br/><br/>son sang, mort. La Manucure se met à rire<br/>comme une folle, les autres sont consternés, le Cul-<br/>de-jatte pleure et prend le mouchoir de F Amé-<br/>ricain pour s’essuyer les yeux. On transporte le<br/>cadavre sur son lit suivant les ordres du peintre, et<br/>sur présentation de ses papiers d’agent, il délègue le<br/><br/>Cul-de-jatte chez le commissaire de police ;<br/>pendant ce temps, par habitude professionnelle, la Manu-<br/><br/>cure fait les ongles du mort, le Curé<br/><br/>allume des bougies, le Peintre rédige un rapport, le<br/>Marchand de cartes prie, son chapelet aux<br/>doigts, l’Agent fait un croquis du cadavre, le<br/><br/>Cycliste fait une réussite.<br/><br/>Le Cul-de-jatte arrive chez le commis-<br/>saire après une course folle, il demande à être<br/><br/>— 28 —<br/>
entendu, il raconte le crime et fait une déposition sur<br/>les personnes alors présentes, il produit des charges accablan-<br/><br/>tes sur le Peintre, le Marchand de cartes<br/>postales, le Curé, le Cycliste J en effet, il peut<br/><br/>affirmer avec preuves à l’appui que :<br/><br/>Le Curé a été vu courant en caleçon au vélodrome.<br/>Le Marchand de cartes postales a une vie double et<br/>interlope.<br/><br/>Le Cycliste était certainement jaloux de<br/><br/>l’Américain.<br/><br/>Le Peintre est porteur de faux papiers.<br/><br/>L’Agent de la sûreté a volé des tableaux<br/>à rAméricain.<br/><br/>Le commissaire se transporte sur les lieux<br/>du crime.<br/><br/>Interrogatoire, enquête sur place, les faits avancés par le<br/><br/>Cul-de-jatte Sont reconnus exacts, arrestation<br/>des pseudo coupables ; la Manucure (Jlli fait de<br/><br/>l’œil au commissaire est laissée en<br/>liberté.<br/><br/>— 29 —<br/>
f<br/><br/><br/><br/>I<br/>
TROISIÈME PARTIE<br/>
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TROISIÈME PARTIE<br/><br/>LES ASSISES<br/><br/>L’Agent et le Peintre, après audition des témoins, dont<br/><br/>le Cul-de-jatte et la Manucure, sont con-<br/>damnés à mort, les autres aux travaux for-<br/>cés. Le Cul-de-jatte est très élégant, il assiste<br/>au procès sur un chariot automobile de grand<br/>luxe, derrière ce chariot une plate-forme avec siège pour<br/><br/>la Manucure, qu’il a épousée.<br/><br/>A la sortie du Palais de Justice, il lui offre, en souvenir<br/>de cette journée, la rivière de diamants achetée<br/><br/>— 33 —<br/>
jadis pour elle par l’Américain et que le Cul-de-<br/><br/>jatte lui a volée, car c’est évidemment lui qui a fait<br/>le coup, Commis le crime, la Manucure le savait, mais<br/><br/>l’attrait de l’argent a été plus fort. C’est maintenant Une<br/>dame très élégante et distinguée. A la sortie, le<br/>Cul-de-jatte lui propose un voyage à Deauville.<br/><br/>LES TROIS ROUTES<br/><br/>La route de Deauville sur laquelle file une somp-<br/>tueuse Hispano dans laquelle sont réunis le Président<br/><br/>des Assises, l’avocat des condamnés et celui<br/><br/>de la partie civile qu’on devra reconnaître sans aucun doute.<br/>Cette voiture est dépassée par le chariot du Cul-<br/>de-jatte, saluts et sourires échangés.<br/><br/>La route de “ La Nouvelle où passent<br/><br/>les condamnés dont : le Cycliste, le Curé, le Marchand<br/>de cartes, tous trois pensent à Ici iVIctntlCUTC avec<br/>des visions différentes.<br/><br/>Enfin, la route du ciel où montent<br/>l'Agent et le Peintre. L'Agent a emporté<br/><br/>34<br/>
ses tableaux sous son bras. Au bout de<br/>la route un grand crucifix ; à leur arrivée,<br/>le Christ s’anime, éclate de rire, détache<br/>ses bras, applaudit avec force, et les unit<br/>sur son cœur...<br/><br/>FIN<br/>
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JUSTIFICATION DU TIRAGE<br/><br/>15 exemplaires sur Japon impérial<br/>numérotés de 1 à 15.<br/><br/>35 exemplaires sur Hollande Van<br/>Gelder numérotés de 16 à 50.<br/><br/>300 exemplaires sur Velin d’Arches<br/>numérotés de 51 à 350.<br/><br/>Plus 15 exemplaires Hors commerce.<br/><br/>EXEMPLAIRE No<br/>
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ACHEVÉ D’iMPRIMER, LE QUINZE MAI<br/>MIL NEUF CENT VINGT-HUIT, POUR<br/>LES ÉDITIONS TH. BRIANT, SUR LES<br/><br/>presses d’émile lemaux, rue des<br/><br/>MARAIS, A PARIS.<br/>
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