GENEVIEVE PRAT 161 comme un immeuble et Ton entendait ce bruit du cristal qui, au centre de l’Océan Indien, annonce seul le typhon... Sous le souffle de la terre, la lune se couvrait de buée; impossible de prétendre que la terre était morte... Rehaussés de rouge, là d’où partent leurs paroles; de bleu, là d’où partent leurs regards, les visages des femmes, selon l’angle qu’elles aiment avoir avec les rayons de la lune, s’inclinaient ou se relevaient... Pour en revenir à ces fameux bienfaits du soir, peut-être, en effet, n’était-ce pas à M. Forest de les dire, qui affirmait au steward suédois que les laitues à lui servies étaient arrosées au purin et non au porto; ni à Cumonsky, qui se refusait à manger sa fraise de veau stérilisée par l’appareil de Flonne; ni à M. Rouff, aux prises avec un homard trop blanc; peut-être était-ce à moi ?... D’ailleurs, tous les convives, anglais et autres, émus malgré tout de sentir ce soir au-dessous d’eux le centre du monde plus mouvant et sensible en ce lieu qu’au Palais-Royal ou à la Madeleine, étaient plus silencieux que chez Larue ou chez Stefan. On devait avoir dans quelques heures un nouveau président du Conseil; les Français, amis de la liberté, souhaitaient en buvant leur fine un tyran qui leur obéît, à part deux ou trois, qui souhaitaient un doux roi qui leur commandât. J’avais conduit Geneviève dans le cabinet particulier orné des gravures de Dalila, de Judith, et de Ninon de Lenclos... Je ne savais pas que Ninon eût fait tant de mal aux hommes... La présence de Geneviève suffisait d’ailleurs à rassurer... Elle était là, menue et faible, devant son apéritif quotidien, qui lui donnait chaque soir le courage de résister à la vie, et admirant le premier maître-d’hôtel comme elle eût fait Jurien de la Gravière. Je ne l’avais pas vue depuis dix ans, époque où sa sculpture ne l’avait pas rendue célèbre et où tous les trois mois elle se fiançait Le fiancé, professeur ou ingénieur, se mettait aussitôt à déplacer dans l’appartement