184 BLAISE CENDRARS Sur son visage, des paysages, fantastiquement alpestres, se pei gnaient : les rides de son front se creusaient, s*abîmaient, l’ossature de son crâne se voilait d’effroyables tristesses; de ses yeux, des torrents de souffrances, des larmes, coulaient; il était secoué; il geignait, ainsi qu’un pin tordu, au haut d’un roc et que le vent empoigne et déracine!... Un cri; un dernier éclair dans les bois, clarinettes et bassons, le bouillonnement d’un sang chaud : son sexe était foudroyé, un serpent tronçonné se tordait à ses pieds; la terre brûlait; le firmament flambait; l’univers tout entier sautait hors de son orbe; ... et l’âme pensait mou rir... : il n’était plus qu’un œil figé dans l’épouvante!... Sa face avait pâli. Il était comme spiritualisé. Il avait quelque chose de sataniquement sinistre! Il n’était plus qu’un œil qui contemplait... Ses gestes étaient plus lents, plus alanguis. Les rythmes, plus com pliqués, avec des heurts subits et des saccades. Les cordes étaient pin cées; les bois gloussaient; les harpes s’égrenaient. Tout l’orchetre, hale tant, puisait, dans cette paupière ouverte, dans cet œif fixe, plaies, brûlures... C’était comme un moment d’hésitation, d’attente, — insup portable, surtendu... Lui-même, s’était abstrait, — grandissait, grandis sait. Ses mains, fleurs exsangues, au bout de ses bras flexibles, trem blaient. Il montait. Il ne voyait plus que des mains tourmentant, fébrilement, les violons; des doigts fous, courant prestement sur les flûtes; des mains perverses, caressant languissamment les harpes, en une molle langueur — et, peu à peu, il se sentait enlevé. Les instruments même disparais saient et les joueurs; rien que des mains, comme une atmosphère lumi neuse, ondoyaient, en cadence, des mains spirituelles et presque translu cides, un parterre rare de fleurs se mettant à parler, à chanter tristement et à choir..., pétale par pétale..., dans la lumière... et un parfum sonore fusait, tout droit, en haut, une voix d’or, chant enfantin, soleil d’airain : son cœur... Les mains étaient des vols d’ailes blanches, des ébats de colombes,