RENÉ MARIE HERMANT 229 nous transporte chez lui et nous en découvre les plus surprenants retraits, les plus secrets tréfonds, c’est fort beau, encore qu’assez facile et pour tout dire régulier. Il serait désastreux qu’un guide local ignorât les plus beaux sites de son domaine. Mais que deux écrivains français se révèlent à ce point sensibles au génie et re-créateurs du mystère d’une race aussi franchement extérieure paraît autrement intéressant. Théâtralement, cette rapide petite tragédie reste d’une possibilité humaine de toutes les latitudes. Instrument du parti révolutionnaire, une femme accepte les plus basses infamies comme un devoir, et finit par dénoncer son amant, par méfiance d’elle-même, pour mieux servir. 89 aurait pu, chez nous, motiver de tels conflits. Cependant on peut penser qu’ils n'eussent point connu cette simplicité de tension, cette rigueur calme dont ils s'aggravent ici. Daïcha, rouleuse de cabarets, paillasson à grands ducs fait son devoir. Une occidentale, je crois, et mieux, une latine, le ferait aussi mais il en deviendrait sacré tout de suite, dès le début, sans délai et je pense qu'elle le prononcerait souvent, avec une belle capitale, comme il convient. Daïcha, elle, simplement, croit servir. Et les temps révolus, passée de la brasserie au Kreml, elle ne s'en souvient qu’à peine, quand on insiste vraiment. Autour de cette femme, les t3 r pes les plus divers s'efforcent, souffrent, doutent et discu tent en cette atmosphère de misère intime, d'inquiétude éternelle, de mélancolie et de bonté maladroites où se débattent leurs consciences d’enfants tôt orphelins. « Les Russes ont des remords pour tout le monde », dit le lieutenant Apraxine, en ricanant de lui-même, tout cro- quillant du tournesol. Mange tes grains de soleil, Ossjp-Ossipovitch, drough moï, et crois 1 Crois toujours, aujourd’hui le contraire d’hier et de nouveau autre chose demain, fermement. Longtemps encore, Groucha ne pensera qu’à partir loin, loin, toujours plus loin, la-bas, sans savoir, dès que le malheur s’annoncera quelque part; et le père Afanase pourra bien disparaître comme ne lui cèle point Tchérébérébine dont les valenki pataugent autant dans la plus scrupuleuse irrésolution que dans la neige de la Place-Rouge — oui, petit homme de Dieu ! ton tour viendra, petit homme de Dieu... — et Arcade-Dimitrievitch s’entêter et Ivolguine chercher partout la liberté qu’il a servie sans devoir jamais la connaître, longtemps encore la Russie restera la Russie, avec ses détresses, ses ivrogneries, ses exaltations, ses hypnoses, ses candeurs, ses sacrifices,