26 RAYMOND RADIGUET bille par elles. Aussi je m’y pris naïvement, commençant par ôter ses souliers et ses bas. Je baisais ses pieds et ses jambes. Mais quand je voulus dégrafer son corsage, Svéa se débattit comme un petit diable qui ne veut pas aller se coucher et qu’on dévêt de force. Elle me rouait de coups de pied. J’attrapais ses pieds au vol, je les emprisonnais, les baisais. Enfin la satiété arriva, comme la gourmandise s’arrête après trop de crème et de fraises. Il fallut bien que je lui apprisse ma supercherie, et que Marthe était en voyage. Je lui fis promettre si elle rencontrait Marthe, de ne jamais lui raconter notre entrevue. Je ne lui avouai pas que j’étais son amant, mais le lui laissai entendre. Le plaisir du mystère lui fit répondre « à demain )) quand, rassasié d’elle, je lui demandais, par politesse, si nous nous reverrions un jour. Je n’y allai pas. Peut-être ne vint-elle pas non plus sonner à la porte close. Je ne pouvais me dissimuler combien réprouvable par la morale courante était ma conduite. Car sans doute sont-ce les circonstances : tromper Marthe dans sa chambre avec sa meilleure amie, écartée d’elle, qui me firent paraître Svéa si précieuse. Mais je n’avais pas de remords. J’en aurais eu de causer de la peine à Marthe, c’est-à-dire si elle con naissait l’aventure. Et même, là encore, lui en eussé-je voulu de ne pas me comprendre, ce qui est le comble. Ce n’est donc pas à cause du remords, mais du voisinage, que je délaissai la petite suédoise. D’ailleurs n’avais-je pas tiré d’elle tout le sucre? Quelques jours après, je reçus une lettre de Marthe. Elle en conte nait une de son propriétaire, lui disant que sa maison n’était pas une maison de rendez-vous, quel usage j’avais fait de la clef de son apparte ment, où j’avais emmené une femme. J’ai une preuve de ta traîtrise, ajou tait Marthe. Elle ne me reverrait jamais. Sans doute souffrirait?elle, mais elle préférait souffrir à être dupe. Je savais ces menaces anodines, et qu’il suffirait d’un mensonge, ou