34 JEAN EPSTEIN moins exactement et sentons aussi, de savoir ce qu’est scientifiquement l’éclipse, ne nous défend pas contre un pénible sentiment d’oppression lorsque nous voyons la lumière à demi s’éteindre. L’argument raisonnable est normalement inefficace contre l’argument affectif. On a beau se con vaincre raisonnablement que cette angoisse n’est pas fondée, l’angoisse subsiste néanmoins, et située hors de la raison, les preuves de la raison ne la touchent pas. Et si l’astronome n’éprouve pas d’angoisse du tout, ce qui, d’ailleurs, n’est pas sûr, il le doit non aux arguments de sa raison, mais au fait qu’il détourne son attention de sa vie affective. C’est à parler généralement que les deux domaines raisonnable et affectif sont ainsi indépendants. Il y a déjà eu le système kabbaliste où ils étaient confondus et donnaient une étrange figure du monde. De ce système kabbaliste nous retrouvons dans l’esprit d’aujourd’hui plus d’un caractère. La kabbale pourrait n’être pas une métaphysique exception nelle et unique, mais simplement le cas particulier d’une méthode de con naissance sur le point de se reproduire. Dans cette méthode, la connaissance n’est pas tantôt de raison et tantôt de sentiment. La connaissance y est simultanément sentimentale et raisonnable. Nous dirons qu’elle est lyrosophique et nous appellerons lyrosophie la figure de l’univers qu’elle édifie. La kabbale n’est qu’un cas particulier de lyrosophie. Mais si la kabbale, la plus étrange aven ture de l’esprit humain, passa sans laisser de traces très marquantes, c’est qu’à son époque les sciences n’avaient qu’une valeur de bibliothèque et de cabinet. Si un promeneur s’abandonne par accès à la merci d’une intuition excessive, au mieux et au pis, il ne lui arrivera que de découvrir une source ou de personnellement s’embourber dans un marais. Aujourd’hui, c’est à une époque scientifique, à une époque dont toute la vie industrielle, sociale et, jusqu’au tout dernier moment, intel lectuelle en général, fut établie et précisément réglée par la raison, que chantent les sirènes de cette même aventure leur menace de la reproduire. On ne saurait dès maintenant dire que ce serait, si l’aventure s’accom plissait, un désastre. Non plus, comme d’aucuns, encore peu nombreux et