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RAYMOND RADIGUET
bille par elles. Aussi je m’y pris naïvement, commençant par ôter ses
souliers et ses bas. Je baisais ses pieds et ses jambes. Mais quand je voulus
dégrafer son corsage, Svéa se débattit comme un petit diable qui ne veut
pas aller se coucher et qu’on dévêt de force. Elle me rouait de coups
de pied. J’attrapais ses pieds au vol, je les emprisonnais, les baisais.
Enfin la satiété arriva, comme la gourmandise s’arrête après trop de
crème et de fraises. Il fallut bien que je lui apprisse ma supercherie, et
que Marthe était en voyage. Je lui fis promettre si elle rencontrait
Marthe, de ne jamais lui raconter notre entrevue. Je ne lui avouai pas
que j’étais son amant, mais le lui laissai entendre. Le plaisir du mystère
lui fit répondre « à demain )) quand, rassasié d’elle, je lui demandais,
par politesse, si nous nous reverrions un jour.
Je n’y allai pas. Peut-être ne vint-elle pas non plus sonner à la porte
close.
Je ne pouvais me dissimuler combien réprouvable par la morale
courante était ma conduite. Car sans doute sont-ce les circonstances :
tromper Marthe dans sa chambre avec sa meilleure amie, écartée d’elle,
qui me firent paraître Svéa si précieuse. Mais je n’avais pas de remords.
J’en aurais eu de causer de la peine à Marthe, c’est-à-dire si elle con
naissait l’aventure.
Et même, là encore, lui en eussé-je voulu de ne pas me comprendre,
ce qui est le comble.
Ce n’est donc pas à cause du remords, mais du voisinage, que je
délaissai la petite suédoise. D’ailleurs n’avais-je pas tiré d’elle tout le
sucre?
Quelques jours après, je reçus une lettre de Marthe. Elle en conte
nait une de son propriétaire, lui disant que sa maison n’était pas une
maison de rendez-vous, quel usage j’avais fait de la clef de son apparte
ment, où j’avais emmené une femme. J’ai une preuve de ta traîtrise, ajou
tait Marthe. Elle ne me reverrait jamais. Sans doute souffrirait?elle, mais
elle préférait souffrir à être dupe.
Je savais ces menaces anodines, et qu’il suffirait d’un mensonge, ou