DEUX POST-SCRIPTUM
47
périlleux. Chaque phrase écrite ou dite, le moindre de mes actes
représentent un point de gagné sur la chute, car le vide pompe de
toutes ses forces.
Rien de plus incompréhensible pour le spectateur ne voyant
ni vide ni corde que ma gesticulation. Ajouterai-je : l’ombrelle que
je bouge autour de moi.
Cette pantomime du milieu de la course (alias : du milieu
de mon âge) nécessite des gestes moins larges et des arrêts à cause
du ballant plus fort de la corde. Gestes et arrêts abusent même
Epstein lorsque son œil me cinématographie d’un bout à l’autre. Il
se trompe sur les mobiles de ma prudence. Alors que je m’efforce
vers le but; il croit que je l’évite.
Je ne demande pas à Æ. Paul Souday d’avoir les appareils
d’un Epstein. Son objectif enregistre de temps en temps une image
de moi floue et sautillante.
Si Epstein découvre la corde où il voyait la terre ferme, ce
qu’il prend pour une petite danse lui deviendra beau.
Ai. Paul Souday se refuse à croire que je n’ouvre jamais un
journal et que je ne m’abonne pas aux agences. C’est pourtant
vrai. Alais certains articles s’imposent, on nous les apporte, on
nous les affiche.
Apres l’affichage, comment voulez-vous que comptent pour
moi le respect de la critique, la politesse mondaine, ta crainte que
Temps ou Nouvelle Revue Française me houspillent. Vu
ma posture, houspiller veut dire : pousser l’acrobate. Or je travaille
sans filet. Je dois donc me défendre et, si possible, prendre Les
devants.
Sensible ? Non. Notre cerveau est une figure de boxeur.
Plus que sensible ? Oui. Un malaise mortel m’accompagne.