324 votre questionnaire, alors qu’une telle confusion règne dans les esprits! Que ne me demandez-vous plutôt une étude concernant « L’influence des théories des peintres sur la vision de certains critiques d’art ». Voilà une étude exci tante, sur l’opportunité de laquelle je vous conseille de réflé chir. — Mais revenons à la peinture triste. N’accusez pas les peintres de la salle 2 d’introduire en peinture des formules nouvelles et dévastatrices. Ils ne font que cultiver une tech nique traditionnelle, celle de l’école de Barbizon (1), et que tirer parti des matières pittoresques que le temps, ce cui sinier, a déposées sur les toiles de nos Musées. Comme les peintres de Barbizon, ils s’arrêtent plutôt devant les Rem brandt dénaturés du Louvre que devant Rubens — dont on peut encore percevoir la fraîcheur sous la crasse des vieux vernis. Leur point de départ est contestable, mais là comme partout ailleurs, le résultat seul importera. Il y aurait bien des désillusions et bien des émerveillements si un beau jour un pieux « vandale », s’introduisant au Louvre, muni d’un actif décapant, en frottait énergiquement le bœuf écorché! Vous verriez s’épanouir ces sauces dorées qui l’accommodent si mal, et apparaître des roses, des bleus, des lilas, des gris et des rouges; vous assisteriez ainsi à la ruine d’une supers tition et d’une théorie qui, pour n’avoïr pas son aède, n’en est pas moins active. Je poursuis la lecture de votre questionnaire et je cons tate qu’il faut que la confusion dont je parle plus haut soit bien grande pour que les mots « plasticité, mesure, discipline » semblent, dans votre esprit même, impliquer tristesse et austérité. — Mais les musiciens et les poetes que vous citez, et qui sont mes poètes et mes musiciens préférés, ne possèdent-ils pas les vertus de mesure et de discipline dont les peintres « cubistes » ou « néo-cubistes », je ne sais plus, ont fait leurs vertus coutumières? En quoi le goût de la chose bien faite et l’amour de la pertinence peuvent-ils être opposés au goût de l’humour, du pitto resque et de la fantaisie, je vous le demande à mon tour? Le Poussin, qui est le peintre mesuré et discipliné par excel lence, introduit dans chacun de ses tableaux des détails pittoresques et amusants : on s’en apercevra le jour où le trop prudent personnel de la Conservation des Musées natio naux se décidera à les faire nettoyer. La tristesse ne gît, (1) Corot excepté.