— 348 — douceur d’un baiser : on s’y mord, on s’y déchire. Lëa, dans les Créanciers fait une scène à son mari pendant qu’il a une attaque d’épilepsie. Alice, dans la Danse de Mort pré cipite le rythme du Pas des boyards pendant que le ca pitaine s’écroule sans connaissance. Les Créanciers n’étaient guère humains, certes; mais il y a dans la Danse de Mort une cruauté raffinée dans l’ennui qui s’exhale de ces médiocres existences que n’allège pas l’espoir d’un changement. Sans doute l’effet accablant de cette œuvre est-il dû à sa perfection dramatique qui dépasse de beaucoup celle des Créanciers. Le développement de la Danse de Mort est tout intérieur et emprunte le minimum d’effets scéniques. Entre les deux époux n’intervient qu’un cousin de la femme, ami d’enfance du mari, élément de réaction nécessaire. Une sur face unie sous laquelle le drame se dissimule, se disperse — semble-t-il — en d’aigres propos quotidiens. Toute l’in tensité du troisième acte est obtenue par l’accumulation de petites touches dont la somme tout d’un coup nous porte au comble de l’émotion. Les deux époux dont on avait cru voir finir — ou du moins changer — le tourment, se retrouvent, l’amant parti, en face l’un de l’autre, vaincus et résignés à continuer en semble une existence médiocre où la haine était le plus vivace des liens. Pourtant les damnés de l’enfer conjugal ont entrevu la fin possible de leur misère : dans l’au-delà sans doute une vie les attend, meilleure, un purgatoire, car il ne peut y avoir d’autre Enfer que la vie actuelle. Telle est la pensée du sombre génie de Strindberg dont Kurt, l’amant, exprime tout le pessimisme, la misogynie et la pitié quand, — interrogé par le mari sur le point de sa voir auquel des deux époux il donne raison, — il répond effrayé : « Ni à l’un, ni à l’autre... tout de même un peu plus à toi; mais j’ai une grande pitié pour tous deux. » Emma CABIRE.