333
— et le ressac des révolutions... fis-je, pour n’être pas en
retard sur lui d’un cliché de bonne taille...
— oui, comme vous dites, le ressac des révolutions... et
le cœur de l’humanité! Mais il y a là de quoi écrire dix
romans, vingt romans, je ne sais combien de romans, mer
veilleusement puissants...
— et solidement charpentés, ajoutai-je encore pour rester
dans le ton.
— Tout cela ne vous dit rien?
— Ma foi...
— Alors, quoi, vos nerfs de civilisé, votre cerveau
d’homme moderne, et cet appétit scientifique dont nous
causions à l’instant devant Carmen, Carmen qui n’y compre
nait goutte, la pauvre fille — à propos, comment la trouvez-
vous? — tout cela reste donc négligé, parents pauvres dont
vous rougissez presque, je gage?
— Pardon, fis-je, je ne néglige rien et je rougis assez
difficilement comme vous avez pu le constater tantôt, mais
je ne vois pas ce que...
— Vous ne voyez pas! Voilà l’explication. Et vous en
mourez, le roman en meurt, de ne pas voir. Les convulsions
mondiales, les grands courants d’idées, les pulsations des
peuples...
— le frisson de l’espace...
— parfaitement, le frisson de l’espace, et jusqu’à cet
équilibre planétaire sont autant de sources d’émotions et de
spéculations, autrement profondes, autrement magnifiques
que toutes vos petites histoires de petits bonshommes si
méprisables et ridicules sous ce ciel. Ah, vous ne voyez pas!
Tenez, je vous en ferai un de roman, moi; un roman où il
n’y aura pas un chat. Les grands rythmes suffisent. La
science n’est-elle pas là pour ouvrir à nos imaginations les
plus troublants problèmes, les plus secrètes voies? Les
foules...
— le mascaret des foules, dus-je hasarder...
— Vous plaisantez? Eh bien, vous verrez. Seulement,
voilà...