195 René Edme Il y a très probablement des hommes condamnés, cœur et esprit, et accablés de génie comme pour prouver mathématique ment le miracle ou la présence de Dieu. Mais je ne le veux pas croire. Je sais trop que c’est à la souffrance et à sa logique sans défaut que René Edme doit d’avoir écrit ses plus belles pages. Poète et grand poète, il n’a pêché que par excès d’harmonie. André du Bief et moi avions depuis longtemps prévu sa fin. Et dès les premiers jours de cette année, mesuré auprès de lui la distance qu’il avait perdue. Mais ceci n’est pas pour la “ Vie des grands hommes „ ou le manuel scolaire. Encore que merveilleux et tout empreint de cette haute noblesse contre quoi Mr. Léon Riotor, l’ordonnateur- ami des poètes ne pourrait entreprendre. J’avais connu René Edme, un jour de mars 1920. C’était au temps du jeune-communisme prêché par le tendre poète Garrigue Garonne. La révolution russe avait touché au cœur les écrivains syndiqués de la rue Fontaine. Le printemps aimable aidant, un peu d’argent aussi, je ne me défendais pas de quelque illusion quand je rencontrai René Edme. Très beau déjà, pour ce genre “ fleur du mal „ qui étonnait souvent, il échappait à tout romantisme. Il avait à vingt ans réussi son portrait. Et ce portrait quel peintre l’eût pensé mieux que lui. Je devais alors éditer les poèmes de “ Dionysos sourit „, quelques vers écrits par Edme du temps qu’il était à la caserne ou plutôt à la salle de police et dans les geôles régimentaires. Nous avions convenu d’une firme : “Le Signal „ , fait imprimer des bulletins de souscription. Pour une indiscrétion judiciaire tous nos projets durent être abandonnés. Cependant René et son ami André du Bief faisaient paraître le numéro un du journal “ Non „. Critique individualiste, anti-dada proclamait la manchette. De telles tentatives meurent en beauté. Non n’alla pas plus avant. Entre autres mérites la feuille si sympa thique comptait, avec la collaboration de du Bief, un poème de “ Dionysos „ des placets de René Edme, et, en rez-de-chaussée, trois colonnes de critique : de quoi s’aliéner toute une littérature déchue et l’art eh goguette.