LE CRAPOUILLOT 5 Elles pensaient toutes : « Ils nous défendent, rendons-les heureux ! », et c’était à qui s’ornerait de ses plus beaux atours, gainerait ses pieds des plus fins bas de soie, se préparerait par les meilleurs repas, décorerait son visage des nuances les plus délicates, emplirait son cœur des pensées les plus accueillantes... Ah! mes sœurs! vous avez bien mérité de la Patrie ! Enfin, je veux déposer une dernière palme sur le monu ment que je rêve. Je veux dire combien les femmes ont su « tenir ». Les hommes, harassés, auraient accueilli avec satisfaction la fin de la guerre. Mais les femmes, elles, qui avaient pris la coutume d’administrer le foyer et de vivre chacune à sa guise, voulurent qu’on allât jus qu’au bout. Non ! pas de défaillance ! Pas de sensiblerie.! Ah ! quelles paroles éloquentes, quelles exhortations romaines, trouvèrent alors nombre, de jeunes épouses pour obliger leur territorial de mari à rester sur la ligne de feu ! Et'cette force de caractère, elles l’avaient encore après quatre ans ! splendide exemple ! Oui ! Il faut élever un monument à la Femme Française ! Je connais une maquette composée parle célèbre sculp teur Grattesaindoux, un ami fidèle des Annales. Ouvrons une souscription ! En avant la musique ! J’espère bien, mes chères brebis, que chacune de vous laissera tondre, pour ce grand projet, quelques mèches de sa laine! Cousine YVONNE. A la manière d’Henry Bidou, critique militaire et théâtral Pomaroî a du cran, à la S cal a Les généraux Mouezy-Eon et A. Bisson. commandants en chef des troupes de la Scala, ont remporté sur le public parisien une victoire décisive. L’acTon offensive, menée selon les plus purs principes de stratégie napoléonienne, a eu raison de spectateurs désarmés devant une manœuvre que Clausewitz se fût plu à taxer d’attaque générale concordante. Trois phases dans la progression. 1 er acte : préparation. Le colonel Marcel Simon, interprète énergique de la volonté mouezyéonesque, campe dans l’appartement d’une jeune grue parisienne. Exposition. Tranchées d’approche. 2 e acte : infiltration. Cette fois le colo nel Simon lance ses jeux de mots, ses quiproquos, en avant-garde. Le rire s’infiltre parmi les fauteuils d'or chestre, et fuse, 3 e acte : l’assaut. Le public est débordé. Il n’en peut plus. Enveloppement. Les rates font mal. Mille mains battant l’une contre l’autre, font kamarad. Le rideau tombe : 24 heures d’armistice. Une fois de plus des généraux ardents ont su montrer le parti qu’on peut tirer, dans la bataille moderne, du jeu combiné des feux, de la rampe, et de la claque. Nous y reviendrons en détail. Henri BIDOU. A la manière des romans d'aventures Le Violon de l'Équipage par Pierre MAC-ORLAN Après avoir mouillé, lofé, culé, embossé et relâché durant onze semaines, entre le port de Tournelles et le port la Râpée, nous prîmes route, le 15, vers le S.-S.-Est, en direction de la Halle-aux-Vins, laquelle contient cet illustre Préau des Eaux-de-Vie, où tant de bons naviga teurs échouèrent, après avoir eu le vent dans les voiles tout au long de leurs existences de gentilshommes de fortune. La nuit accrochait, aux quatre coins du ciel, un pâle velours génois, peluché de nuages et piqué d’astres scin tillants. Sur le gaillard d’avant, Carco-le-Napolitain etWarnod, dit Poil-Rude, se battaient à coups de garcettes, au mi lieu d’un cercle de connaisseurs, qui les injuriait alterna tivement, selon les hasards du combat, et qui les traitait (dans toutes les langues parlées à bord) de : «Porcs d’York, de bougres de lougre. d’huîtres de Wainfleet, de rats de cambuse, de faux-saulniers, de puants gabelous, etc. » — Paix là-dedans, cria René Bizet, le capitaine, paix, foutre! ou je vous laisse marrons dans l’Ile Saint-Louis ! Et il ajouta, d’un air sarcastique, et d’une sèche voix de noix cassée : — Vous direz alors au vieux Billy que la Malabèe chasse toujours sur les ancres, foutre! à deux encâ- blures de la Mégisserie, bougre de bougre! — Terre! cria, dans la conque aux rubans noirs, le Béarnais Dyssord, debout sur le tillac et qui, en signe d’allégresse, crachait dans ses mains une salive jaunie par l’abus du tabac de Sumatra.. — Terre, hurla l’équipage, terre et boissons ! accos tons, suivons les quais noirs, allons, au fond des tavernes, boire les bières mousseuses, en des gobelets de verre, qu’apportent aux chevaliers de fortune des hommes qui cachent le tremblement de leurs jambes sous des ser viettes blanches et des tabliers verts! Nous verrons, au cœur de la ville, les fameuses femmes-qui-fument, dont la vue amollit jadis le cœur du capitaine Kidd, tant et si bien qu’il fit sa soumission et devint contrôleur sur un pon ton des Bateaux-Mouches et ne finit point, comme on Fa dit, sur le quai des Exécutions, entre Marrow-Dor et Meer Quanty! Ainsi s’exprimaient les marins, en exclamations puis santes et rythmées. Mais René Bizet fit couvrir leurs voix par les hurlements de la sirène. Le fracas attira, la police. Tous ceux qui avaient touché terre au pont Sully, furent transportés dans les geôles de la rue Monge où tout de suite eut lieu un équitable partage du tabac. Puis tout demeura silencieux, extraordinairement silencieux dans la Cité des Andouilles. Pierre MAC-ORLAN.