Clément Pansaers<br/><br/>Lettres<br/><br/>(1921-1922)<br/>
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Lettres<br/>
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/ .C9<br/><br/>Clément Pansaers<br/><br/>Lettres<br/><br/>au Docteur Schuermans<br/>
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Le 1/9/21<br/><br/>Clément Pansaers<br/>9 rue des Saints Pères<br/>Paris (7e)<br/><br/>Mon cher médecin,<br/><br/>Je vous ai écrit tant de lettres, depuis mon<br/>départ de Bruxelles, voilà 6 mois, et cela toujours<br/>entre deux crises — dont la dernière me faisait<br/>oublier ma missive, ou, soit que dans mon éner-<br/>vement mes nouvelles me semblaient trop insigni-<br/>fiantes. Ne croyez donc pas que j’ai manqué à ma<br/>parole, car vous avez été trop généreux pour moi<br/>— et je vous portais une trop grande sympathie.<br/>Je vous écris ceci — dans mon lit, il est 2 heures<br/>du matin — et je ne dors que toutes 4 à 5 nuits,<br/>quand je suis par trop exténué.<br/><br/>Chez moi persistent toujours — l’énervement<br/>et les maux d’estomac, qui déterminent des<br/><br/>5<br/>
démangeaisons sur tout mon corps — Avec cela,<br/>je suis après tous les 8 jours malade à mourir —<br/>cela s’emmène toujours la nuit — je vis cepen-<br/>dant sobrement sous tous les angles ; je ne sup-<br/>porte même plus l'alcool et presque pas le vin —<br/><br/>Je passe à Bruxelles demain, vendredi, samedi<br/>et dimanche — Je me suis proposé d’aller vous<br/>dire bonjour — et de vous remettre en même<br/>temps 1 ex. de mon Apologie de la Paresse et<br/>quelques autres.<br/><br/>Je suis un peu inquiet parce qu’il faut que je me<br/>mette au travail, et je suis faible sans avoir l’air!<br/>Je vis ici avec de très bons amis et de très grands<br/>artistes — spécialement anglais, irlandais et<br/>américain —<br/><br/>Ezra Pound, le meilleur poète des Etats Unis<br/>et d’Angleterre<br/><br/>James Joyce, le plus grand romancier anglais<br/><br/>Rodker, poète anglais<br/><br/>Lewis, romancier, mais surtout peintre — les<br/>anglais le préfèrent à Picasso — et moi, pour<br/>certaines choses, aussi —<br/><br/>£<br/><br/>Comme Français — je vois Cocteau, Picabia,<br/>Valéry Larbaud, Fargue et autres —<br/><br/>Sur Dada : il y a toute une affaire — que vous<br/>lirez partiellement — dans le n° que je vous ap-<br/>porte et dans le n° prochain de Ça Ira d’Anvers,<br/>que je prépare —<br/><br/>Je collabore au Dial de New York — à la Revue<br/>Mondiale (que voulez-vous, j’en suis le secré-<br/>taire général) J’ai au Mercure une étude merveil-<br/><br/>6<br/>
leuse sur Tchuang Tsi — au Monde Nouveau —<br/>etc..<br/><br/>La vie matérielle est plus dure ici — mais le<br/>milieu rachète tout —<br/><br/>Je suis, en dehors de tout cela, occupé à un<br/>roman — et je fais de la peinture qu’on m’achète<br/>assez volontiers — heureusement !<br/><br/>Tout le monde rentre de la campagne et de la<br/>mer — Je ne sais pas encore ce qui se fera cette<br/>saison —<br/><br/>Pound, le poète, a terminé un opéra — il a fait<br/>lui même la musique — Je suis curieux au plus<br/>haut degré d’entendre cela ! C’est merveilleux de<br/>hardiesse — Moi j’ai un petit ballet — mais je<br/>n oserais pas penser à le musiquer — quoique ce<br/>soit faisable — je vous dirai cela —<br/><br/>Les ballets russes — (le nouveau) était une<br/>merveille sous tout angle. Le ballet de Cocteau,<br/>exécuté par les Suédois — à mon avis très bien —<br/>On ne s imagine pas le chahut d’une première<br/>comme celle de Cocteau — hurlements — sifflets<br/>— pour et contre — c’est un ciel d’enfer !<br/><br/>Et voilà hâtivement résumé mes 6 mois à<br/>Paris —<br/><br/>Je compte vous écrire plus souvent à l’avenir<br/>et vous tenir au courant de ce qui se fait d’intéres-<br/>sant. Si cela vous plait ? —<br/><br/>J’espère d’autre part vous saluer ces jours bien<br/>cordialement<br/><br/>Cl. Pansaers<br/><br/>★<br/><br/>* ★<br/><br/>7<br/>
8/9-21<br/><br/>Mon cher médecin,<br/><br/>Ci-joint les renseignements que vous avez bien<br/>voulu me demander concernant :<br/><br/>Pound, Joyce —<br/><br/>J’y ajoute Lewis, Eliot, etc. —<br/><br/>Je traduis pour le moment un article-program-<br/>me de poésie de Pound — pour les Ecrits<br/>nouveaux et un pour la Revue Mondiale —- Je dis-<br/>cute précisément avec Pound — je suis d’accord<br/>avec lui — mais moi je commence où il finit —<br/>Je noterai cela prochainement pour le Styl (Hol-<br/>lande) et la Rev. Mondiale l’année prochaine —<br/>Mais pour tout cela le combat est dur — 1° la crise<br/>matérielle — Les éditeurs calculent méticuleuse-<br/>ment —<br/><br/>2° la crise intellectuelle — cette peur du nou-<br/>veau, de l’inconnu — avec toujours la derrière un<br/>spectre de je ne sais quel bolchévisme — C’est<br/>pourquoi ce cramponnement à ce qui existait en<br/><br/>1914 —<br/><br/>3° et avec tout cela et par tout cela la situation<br/>précaire de l’artiste — qui prévoit sa pendaison,<br/>sa perte matérielle dans la persécution de ses<br/>rêves... Dès lors, il faut louvoyer — (comme je<br/>deviens raisonnable !) — Je continue mon roman<br/>— Comment le Père Pansa devint pudique —,<br/>et je cherche un compositeur pour mon ballet —<br/>et j’attends des nouvelles de Grasset, qui me<br/>téléphone aujourd’hui que mon « Lamprido » est<br/>entre les mains de son lecteur — Reste à voir<br/><br/>8<br/>
combien il pèsera commercialement ! — Ci-joint<br/>également un petit article — amusant, curieux —<br/>qui paraît le 15 de ce mois dans la Revue Mon-<br/>diale.<br/><br/>J’espère vous être agréable encore et dans cette<br/>attente je vous prie d’agréer mes meilleurs<br/>sentiments<br/><br/>Votre bien dévoué<br/>C. Pansaers<br/><br/>A cette lettre était jointe la note ci-dessous, entièrement<br/>dactylographiée, à l’exception des mots soulignés, qui sont<br/>de l’écriture de Pansaers :<br/><br/>Newmayer (libraire, 70 Charing Cross Rd.<br/>London W.C.2.)<br/><br/>Shakespeare and C°. 12, rue de l’Odeon, Paris<br/>(pour Joyce)<br/><br/>Joyce : Dubliners<br/>Portrait of tbe Artist<br/><br/>Ulysses (en souscription à 150 frs chez Shakes-<br/>peare — )<br/><br/>Pound : Lustra,<br/><br/>Quia Pauper Amavi<br/>H. S. Mauberley<br/><br/>(poèmes de jeunesse) Umbra<br/><br/>prose :<br/><br/>Gaudier Brzeska<br/><br/>«Noh» (avec Fenolloa, sur le drame japo-<br/>nais)<br/><br/>Pavannes and Divisions<br/>Instigations<br/><br/>9<br/>
Wyndham Lewis :<br/><br/>Tarr<br/><br/>T. S. Eliot<br/>Prufrock<br/><br/>Rudker<br/><br/>Hymns<br/><br/>Ford Madox Hueffer<br/>Thus to Revisit<br/>Ancient Lights<br/><br/>Heart of the Country<br/>Soûl of London<br/><br/>Clément Pansaers<br/><br/>Villa Troyon<br/>26, rue des Binnelles<br/>Sèvres<br/><br/>(Seine & Oise)<br/><br/>le mardi 18/10-21<br/><br/>Mon cher médecin,<br/><br/>Par hasard j’ai trouvé votre lettre, qui m’a fait<br/>beaucoup de plaisir (le n° n’était pas exact et je<br/>l’ai trouvé au Bureau de Poste)<br/><br/>J’ai fait immédiatement les démarches — mal-<br/>heureusement ni Pound ni Joyce ne possède<br/>d’exemplaire de leurs œuvres ! — Je chercherai<br/>encore chez Rudger en Angleterre —<br/><br/>Ulysses de Joyce coûte 150 Frs. le saviez-vous<br/>— j’attends votre avis avant de souscrire.<br/><br/>C’est un roman de plus de 600 pages — un<br/>évènement !<br/><br/>10<br/>
Je viens de passer une crise — j’ai cru cette<br/>fois-ci, rester knock-out — J’essaie le dernier<br/>moyen : la campagne.<br/><br/>Merci pour vos conseils ! mais nous ne sommes<br/>pas d’accord ! — Dans le n° prochain de Ça Ira<br/>(dédié à Dada) je m’explique, quoique encore<br/>trop sommairement !<br/><br/>Lapsus — (Les Béguinages) Le Soir a reproduit<br/>cet article et le XXe Siècle l’a analysé — en m’in-<br/>diquant bien pis — à première vue — bien en-<br/>tendu — j’ai trop étudié cette question pour ne<br/>pas la connaître<br/><br/>Marguerite de Bgne — (il faudrait dire d’Au-<br/>triche — à ce qu’il paraît, mais ce n’est pas mon<br/>avis) parle dans ses poèmes des Bourbons —<br/>(rime) et c’est à cette rime que j’ai pensé — mais<br/>assez — J’ai ainsi une série de petites et grandes<br/>thèses — plutôt renversantes — et qui vont<br/>d’Amenophis IV 15e siècle avant J.C., par<br/>Tchuang Tsi, philosophe chinois contemporain<br/>d’Aristote — à l’iconographie du moyen-âge —<br/>que personne n’a jamais su interpréter — Tout<br/>cela renverse les spécialistes et cela m’amuse. Je<br/>crois que Lévy Brühl publiera mon Tchuang Tsi,<br/>malgré les paradoxes que j’avance — C’est de<br/>lui que je tiens partiellement mes principes —<br/>d’alogique, annulant complètement la logique,<br/>la psychologie, etc. des philosophies occidentales<br/>— et que j’applique dans mes romans et autres<br/>essais — et qu’on range parmi le Dada —<br/>alors qu’en réalité beaucoup des Dadas n'ont<br/>aucun critérium personnel — si ce n’est que la<br/><br/>11<br/>
réclame ! Une œuvre d’art, à mon sens, reste une<br/>fantaisie, qui n’a pas besoin de lecteurs ! et les<br/>Belges, toujours, ne croient que ce que Paris<br/>consacre ! — J’ai mené en Belgique tout une<br/>campagne — pour le côté autochtone de l’artiste<br/><br/>— Ça n’a pas pris —<br/><br/>Je vous parlerai une autre fois de médecine et<br/>de mon état pathologique — en attendant le<br/>plaisir de vous lire. Je verrai sous peu Larbaud,<br/>et espère vous découvrir chez lui un Barnabooth -<br/><br/>Bien affectueusement<br/>C. Pansaers<br/><br/>C. Pansaers<br/>45 rue Jacob<br/><br/>Paris (6e)<br/><br/>Mon cher médecin,<br/><br/>Je vous envoie, ce jour, un n° de la Revue<br/>Mondiale, avec mon étude sur Khoun-Aton.<br/><br/>J’espère pouvoir vous donner sous peu quelques<br/>indications sur la littérature anglaise —<br/><br/>Pound a sous presse, en Amérique, un nouveau<br/>recueil de poèmes —<br/><br/>Ça Ira d’Anvers veut publier mon Point d’orgue<br/><br/>— par souscription — Rappelez-vous que j’ai<br/>écrit cela à la suite d'une question de votre part<br/><br/>— Je ne vois rien d’autre de quelque intérêt pour<br/>le moment. Je vous écrirai et vous tiendrai au<br/><br/>le 28/10-21<br/><br/>12<br/>
courant. Je vais de nouveau un peu mieux ces<br/>jours-ci.<br/><br/>Croyez à mes sentiments bien affectueux et<br/>dévoués.<br/><br/>Cl. Pansaers<br/><br/>★<br/><br/>★ ★<br/><br/>C. Pansaers<br/>45 rue Jacob<br/>Paris<br/><br/>(6e)<br/><br/>le 25/12-21<br/><br/>Mon cher médecin,<br/><br/>Depuis ma dernière lettre, je n’ai pas trouvé de<br/>quoi vous faire plaisir — je n’ai pas encore pu<br/>rejoindre Valéry Larbaud ; et je n’ai rien trouvé<br/>en fait de Litt. Anglo-Américaine. Ulysses de<br/>Joyce paraîtra le mois prochain — (vous ne<br/>m avez pas dit, si je devais souscrire pour vous —<br/>au prix de 150 frs —) Les poèmes de Pound vien-<br/>nent de paraître à New-York — S’il y a moyen<br/>d’avoir un ex. de l’auteur, je vous l’enverrai —<br/><br/>Le n° 6 des Cahiers Verts — Trivia par Logan<br/>Pearsall Smith — traduit par Ph. Neel. Introduc-<br/>tion de V. Larbaud est, un beau petit livre, à mon<br/>avis — L’avez-vous déjà ? C’est à peu près tout<br/>ce que j’ai vu d’intéressant.<br/><br/>Ci-joint un bulletin de souscription à mon Point<br/>d’Orgue. Un petit bouquin dans le style Pansaers.<br/><br/>Mes amis, ici, insistent beaucoup pour que<br/>j’accepte la direction d’une nouvelle revue, mais<br/>j’hésite beaucoup n’ayant pas confiance dans le<br/><br/>13<br/>
:<br/><br/>groupe — Picabia, Crotti, Cocteau, Auric,<br/>Dermée, etc. —<br/><br/>Avez-vous lu les derniers nos de Ça Ira? —<br/><br/>J’ai été sur le point d’abdiquer pour écrire des<br/>choses ayant cours commercial — mais au dernier<br/>moment je me suis ressaisi — j’écris d’abord pour<br/>moi, parce que cela me fait plaisir, et ensuite pour<br/>ceux qui aiment la littérature pure — j’écrirai, à<br/>ce sujet, une petite brochure — Je suis au dernier<br/>chapitre de mon nouveau roman — L’autre est<br/>toujours en panne. Lamprido, toutefois, attend<br/>son heure ?<br/><br/>Malade je le suis toujours! Ça va mieux ces<br/>derniers jours, voici:<br/><br/>follement anémique toujours, découlant des<br/>nerfs détraqués — un ganglion s’est formé<br/>à l’aine gauche — grossissant toujours —<br/>j’ai cru un moment à une hernie (—étranglée)<br/>J’ai beaucoup toussé, les nuits, avec, pendant un<br/>certain temps, une sorte d’asthme — tout cela<br/>bien plus prononcé qu’à Bruxelles —<br/><br/>Le médecin, se basant sur mes dires — m’a<br/>prescrit de la kola granulée — une pommade pour<br/>les démangeaisons, de l’eau de Vichy (Grande<br/>Grille) chaude après chaque repas — une sorte<br/>de sel dans de l’Evian Cachat — à prendre au<br/>sortir du lit, le matin.<br/><br/>Je prends avec tout cela, de mon propre gré,<br/>de l’Iodone Robin —<br/><br/>Je crois que les pores de ma peau sont obstrués<br/>et que il y a une complication par un manque de<br/>secrétion d’acide urique — (?) qu’en pensez-vous<br/><br/>14<br/>
— Les échauffements sont sous-cutanés — Aussi<br/>le moindre évènement — une visite, une lettre,<br/>me met dans un état affolant ! — Deux heures<br/>après avoir mangé — même copieusement —<br/>je suis dans un état d’affaisement physique in-<br/>croyable — aussi moral — N’y a-t-il pas un man-<br/>que d’assimilation du côté de l’estomac ? Qu’en<br/>pensez-vous ? — J’ai toujours la langue chargée<br/>et mal au dos — aux reins —<br/><br/>Je regrette beaucoup ne plus être assez près de<br/>vous. J’avais, en effet, une confiance infinie en<br/>vous, ce qui déjà me faisait du bien !<br/><br/>Au plaisir de vous lire, bien cordialement<br/><br/>C. Pansaers<br/>45 rue Jacob<br/><br/>Paris (6°)<br/><br/>★<br/><br/>★ ★<br/><br/>Mon cher médecin,<br/><br/>C. Pansaers<br/><br/>le 25/2/22<br/><br/>Malade. Depuis un mois je suis, entre les mains<br/>de deux spécialistes — Dr Ravaud et le Dr Guil-<br/>lain neurologue —- un beau ( ? ) malade. Pendant<br/>quinze jours, ils ont fait des recherches, finale-<br/>ment radioscopiques et là-dessus diagnostiqué<br/>une tuberculose des glandes — Le Dr Guelpa, qui<br/>m’a été envoyé après cet alarme, nie ce fait, mal-<br/>gré toutes les apparences -— et prétend me gué-<br/>rir —<br/><br/>Aujourd’hui beau temps — je vais mieux aussi<br/>longtemps qu’il y a du soleil.<br/><br/>Je compte aller habiter Nice — si cela ne va<br/><br/>15<br/>
pas mieux d’ici quelque temps —» On m’a d’ail-<br/>leurs prescrit un climat marin. Je suis inapte au<br/>moindre travail. Toujours fatigué, tombant en<br/>deux comme un foetus.<br/><br/>J’ai gardé le lit pendant quinze jours.<br/><br/>Ulysses de Joyce vient de paraître — oeuvre<br/>formidable et remarquable — sans pareille dans<br/>la littérature française Travail de 10 ans. Je vois<br/>Joyce 11 est très gentil — 11 a souffert beaucoup<br/><br/>— pauvreté — etc.<br/><br/>Pound Poèmes — ont été commandé en Amé-<br/>rique pour vous —<br/><br/>Difficultés chez l’imprimeur, me dit-on, retar-<br/>dent mon Point d’Orgue —<br/><br/>Le Salon des Indépendants est plutôt un fiasco.<br/>La section belge très très piètre —<br/><br/>Le Dial de New York publie une reproduction<br/>d’un de mes tableaux —<br/><br/>Le mouvement ne représente rien d’actif —• Les<br/>tendances hardies perdent du terrain dans la<br/>réaction formidable — et puis, on ne s’entend pas<br/><br/>— Chacun veut être le premier — alors qu’il n’y<br/>a que des variations sur un même thème somme<br/>toute !<br/><br/>Une lettre de vous me réconforterait — Je suis<br/>très abattu — et je m’efforce de combattre mon<br/>mal par la volonté et l’énergie — qui toutefois<br/>sont également anémiées.<br/><br/>Bien cordialement à vous<br/><br/>C. Pansaers<br/><br/>16<br/>
C. Pansaers<br/>45 rue Jacob<br/><br/>Paris (6e)<br/><br/>Mon cher médecin,<br/><br/>le 7/3-22<br/><br/>Votre lettre m’a fait beaucoup de plaisir. J’ai<br/>tellement peu de mémoire, que je ne sais plus ce<br/>que j’ai pu vous écrire de contradictoire quant à<br/>cette absurde maladie qui me terrasse ! — Et puis<br/>ce sont les médecins qui se contredisent — Guelpa<br/>dit tout le contraire des autres — Je vais mieux.<br/>Le soleil me fait du bien. (Vous me déconseillez<br/>la mer — les autres me déconseillent Paris! —)<br/>Que faire ?<br/><br/>La Direction de la Revue Mondiale vient de<br/>renoncer à mes services ! — Depuis 1914 la guigne<br/>me poursuit et me ruine !<br/><br/>Puis-je vous demander de me renseigner éven-<br/>tuellement C’est-à-dire — peut être pourriez<br/>vous me recommander à quelqu’un de vos con-<br/>naissances ou amis ? — Comme secrétaire ou<br/>autre ? —<br/><br/>Je vous envoie ci-joint deux photos — de ta-<br/>bleaux ! —- j’ai vendu à des anglais et américains<br/>— Pour le moment je ne fais aucune affaire —<br/>et je suis si peu homme d’affaires —<br/><br/>Je vous envoie un n° du Dial —<br/><br/>Je suis très heureux de vous avoir rendu un petit<br/>service — et je regrette de ne pouvoir faire d’a-<br/>vantages. J’ai été chez Shakespeare — ils atten-<br/>dent de votre libraire le montant avant d’envoyer<br/>l’ex. commandé ! —<br/><br/>17<br/>
C’est une merveille ! —<br/><br/>Lawrence n’est pas mal, mais pas extraordinaire.<br/>Rien de saillant pour le moment, ni en Angleterre<br/>ni en France ! Tout est calme — on discute autour<br/>des prix littéraires, qui tuent l’originalité.<br/><br/>Etes-vous amateur de peintures ? J’ai ici plu-<br/>sieurs choses qui vous plairaient peut-être ! Si je<br/>trouvais un emploi à Bruxelles, je ferais peut-être<br/>mieux d’y retourner. J’y compte toujours passer<br/>quelques jours. Vous m’obligeriez en regardant<br/>un peu autour de vous dans ce sens et en me fixant<br/>sur cette éventualité!<br/><br/>Au plaisir de vous lire, croyez, mon cher méde-<br/>cin à toute ma sympathie dévouée.<br/><br/>C. Pansaers<br/><br/>★<br/><br/>★ ★<br/><br/>Clément Pansaers<br/><br/>45 rue Jacob Paris (6e)<br/><br/>le 11/4-22<br/><br/>Mon cher médecin, Tardivement je vous remer-<br/>cie de votre aimable lettre et de la carte-référence<br/><br/>— Je suis allé voir le Mr Nills qui a pris note de<br/>mon offre de service — je reste cependant inapte<br/>à tout travail —<br/><br/>Je vois le médecin Guelpa tous les jours — dois-<br/>je vous dire qu’il n’est pas encore arrivé à déter-<br/>miner ma maladie — Il a même fait un essai mal-<br/>heureux — Croyant malgré tout à des symptômes<br/>syphilitiques, il m’a donné des piqûres de mercure<br/><br/>— ce qui m’a fait souffrir beaucoup. 11 s’est rendu<br/>compte de son erreur aussitôt —- cependant que le<br/>ganglion — à l’aine — qui était devenu gros com-<br/><br/>18<br/>
me un petit pain, à beaucoup diminué ces derniers<br/>jours — Je voudrais vous voir — probablement<br/>que vous y voyez clair après toutes mes explica-<br/>tions et les essais faits par les autres médecins —<br/><br/>Je suis obligé de garder, deux jours sur trois, le<br/>lit — Vous comprendrez que je sois démoralisé !<br/><br/>Avez-vous lu Ulysse ? —<br/><br/>Je ne vous ai pas encore envoyé un n° du Dial<br/><br/>— parce que je dois le recevoir de Pound et<br/>celui-ci est absent pour 3 mois !<br/><br/>Mon petit livre n’a pas encore paru ! Et je ne<br/>m’occupe de rien ! Et il ne se présente rien de bien<br/>saillant chez les autres —<br/><br/>Mon « Lamprido » roman, va de nouveau en<br/>lecture chez un éditeur — et j’espère achever le<br/>dernier qui est au dernier chapitre — J’ai des<br/>idées pour une oeuvre nouvelle —<br/><br/>Mais tout cela reste à l’état de projet! Ce n’est<br/>que temps à autre que monte en moi un filet<br/>d’énergie —» comme une flamme vivifiante —<br/>mais qui s’éteint aussitôt — et tout devient morne<br/><br/>— Je médite beaucoup le suicide — mais alors<br/>mon gosse chante — et une sentimentalité effa-<br/>rante m’envahit...<br/><br/>Enfin, j’espère encore! — Aujourd’hui le soleil<br/>luit — Mon médecin me dit que mon teint — de<br/>jaune pâle et terne se rafraîchit — il escompte<br/>mieux dans cinq, six semaines !<br/><br/>Au plaisir de vous lire — agréez, mon cher<br/>médecin, mes sentiments d’affection<br/><br/>C. Pansaers<br/><br/>19<br/>
le 4/6-22<br/><br/><br/><br/>Clément Pansaers<br/>Hôpital de la Charité<br/>(Salle Rayer n° 29)<br/>Rue Jacob<br/>Paris (6e)<br/><br/>Mon cher médecin,<br/><br/>Vous m’excuserez le retard que j’ai mis à vous<br/>répondre à votre carte en voyant mon adresse !<br/><br/>A bout, à moitié mort j’ai dû abandonner Dr<br/>Guelpa et dans le délire je voulus partir à Bruxel-<br/>les — mais on m’a conduit à l’hôpital — où je<br/>suis en traitement depuis le 21 avril.<br/><br/>Maintenant je me porte mieux, sans être guéri.<br/>Je suis au service du Prof. Labbé qui a connu deux<br/>cas semblables à ma maladie — (deux intellec-<br/>tuels, dont ce médecin — et coïncidence, moi-<br/>même, j’avais lu vers 1919 la relation de l’affection<br/>de ce médecin, mort à peu près vers cette date)<br/>Le Prof, appelle la maladie : Lymphadénie a-<br/>leucémique — mais on ignore le moyen de la<br/>guérir.<br/><br/>Là-dessus on m’a opéré — extrait un ganglion<br/>pour étude histiologique. On n’a pas encore<br/>le résultat — Cependant que un cobay a été<br/>injecté et se porte bien jusqu’ici — ce qui me fait<br/>espérer — car, d’autre part, après deux analyses<br/>de mes crachats avec résultat négatif et la radios-<br/>copie des poumons — le bacille koch est éliminé<br/>— je suis un traitement radiothérapique qui sem-<br/>ble dissoudre les adénopathies. Souffrant en mê-<br/>me temps d’un prurit insupportable par tout le<br/>corps — épiphénomène) le même traitement<br/><br/>20<br/>
vient de m’être appliqué — Des piqûres d’hectine<br/>et de cacodylate m’ont relevé un peu le moral et<br/>l’énergie — et je réagis autant que possible par<br/>ma propre force — Enfin j’espère —<br/><br/>Les amis Cocteau, Picabia etc. viennent me<br/>voir et m’encourager. Mais j’aurais dû commencer<br/>par l’objet de votre aimable carte ! Non. Impossi-<br/>ble depuis trois mois d’obtenir encore un ex. d’U-<br/>lysse éd. ordinaire — Quelques ex. encore de<br/>l’édition de luxe sont disponibles — Je regrette<br/>donc de ne pouvoir faire plaisir à vous et votre<br/>libraire.<br/><br/>t s v p<br/><br/>Une question ?<br/><br/>J’avais déjà fait pendant la guerre à la maison<br/>Dietrich (patron actuel) des propositions pour sa<br/>librairie — Je pourrais faire, remplir ces fonctions<br/>actuellement mieux encore et avec plus de compé-<br/>tence — ainsi que sa galerie de tableaux et<br/>estampes ? —<br/><br/>Vous m’obligeriez en lui proposant cette sorte<br/>de direction artistique.<br/><br/>Rien de nouveau pour le moment, d’après ce<br/>que les amis me disent — j’espère sortir d’ici fin<br/>juin —<br/><br/>Plus que jamais une lettre m’égaie dans mon<br/>triste bagne ! —<br/><br/>Au plaisir, grand, de vous lire bien cordialement<br/>à vous<br/><br/>C. Pansaers<br/><br/>21<br/>
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De ces Lettres de Clément Pansaers,<br/>communiquées par Pascal Pia, il a été<br/>tiré à part 10 exemplaires sur Japon,<br/>et 40 exemplaires sur beau papier<br/>d’édition, respectivement numérotés<br/>de 1 à 10 et de 11 à 50, le tout<br/>constituant l’édition originale.<br/>Achevé d’imprimer pour le compte<br/>de l’association sans but lucratif<br/>« temps mêlés »<br/>le 21 mars 1958.<br/><br/>47<br/>
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