20 LA „JEANNE D’ARC“ DE JOSEPH DELTEIL Cest embetant de dire â Ioseph Delteil qu’il meriterait de la part de ses contem- porains autant de f£ss6es que de lauriers; car il n’y a que lui qui sache si bien ren- |.verser d’un coup de pied Turne qu’il nous tendait pleine et jouîr en satyre de notre * d£soeuvrement. Delteil d^t^ste Ies ingenieurs, adore Ies magiciens ; â lui Napoleon, Chateaubriand, Jeanne D’Arc; un Goethe, un Stendhal, un Flaubert I’£tonnent sans aplaisir. Ainsi sait-il parfaitement que si i’intuition improvise plus magnifiquement Ies Svictoires que le calcul, plus magnifiquement aussi elle se trompe. Aux grands fous, Ies grandes ctefaîtes: Ies chemins y vont, de la neige de Moscou, au bucher de Rouen. Epargne:/ons-nous â Delteil ce qu’il eut voulu epargner â sa Jeanne ? Mais comment Ie lui faire comprendre, que taille pour Ies grandes actions elles lui r£ussissent d’emblee, ce- pendant que le trahissent Ies plus petites oii il £choue, faute d’avoir compris que ce qu’on neglige de vaincre, ne nfcglige pas de nous embeter; et que ce qui n’est pas avec nous est contre nous. Ce ne sont donc pas ses courages qu’on Iui reproche, ses ri,sques ; c’est sa facilita. Quand on a ecrit: «II n’y a qu’une categorie: le sublime» et que vraiment on sait ne pas tomber de cette corde et s’ytenir, c’est une grave perte d’equilibre qu’un ca- lembour, c’est une lourde faute de rythme qu’un jeu de mots. Parfois, Delteil possfcde Ies secrets de la parachute; la grossierete mâme le sert si bien que son jeu en de- vient exquis; des anges le pourraient entendre sans rougir. Des matikres nouvelles prouvent â I’esprit leur utilite; sans ce „je m’en fous“ de Jeanne, nons n’ aurions que Ia carcasse d’une grandeur et non s’a chair. Paifois aussi Delteil nous emporte si loin il nous souffle si bien sa fi&vre, que nous le suivons haletants, pris de ver- tige; c’est alors, parfois, que son genie â employer l’ordure, l’abandonne... joseph Dciteii de m> h. Maxy Personne plus que Ioseph Delteil n’a Ie don de nous emouvoir et de nous irriter; personne plus que Delteil ne s’en rejouit. Au plus fort du pathos, il n’oublie point de nous epater; au plus houleux du recit de s’arreter pour nous tirer la langue. II se fie ainsi de plein gre â une vertu d’un jour, dâmocratique, qui tient son essentiel element: Ia surprise du grand repertoire forain. Quelle mauvaise sur- prise Delteil que cette «grace grasse» et autres calembours dont fourmillent vos livres qui nons diminuent la vraie surprise, d’etre pris et renverse et viole par le g£nie. Ce n’est pas que Delteil soit imperm^able aux nobles sentiments, aux conventions exquises ; s’il est mal elev£ c’est par volonte de modernisme : il sa- crifie â son epoque. Libre â lui de repugner â l’effort; Iibre â Iui d’aimer la d^bauche; mais il aime Pascal: le voilâ qui sait priser la correction jusque dans l’inacheve. Image du XX-a silele, ce jeune grand ecrivain! II ne veut rien de ce qui eut pu appartenir â un autre. Sa Jeanne il ne la veut partager avec personne—pas meme avec l’image que s’en faisait son Epoque, pas meme avec l’image d’elle meme qu’elle voulait imposer au futur. Du tout fait, du vecu, du agi : tout cela dans la boîte â ordures avec le saxophone, l'histoire, I’Orgue de Barbarie et la logique. Rien ne reste que le su blime, qu’un certain vertige du sublime. Pour- quoi la Jeanne de tout cela, et pas Ia Jeanne du jazz ? Car, ce â quoi obeit Delteil c’est â l'esth^tiquedujazz: beaucoup de bonne musique noy£e dans du vacarme ; du cocasse et du tri vial tir£s d’instruments reputes nobles; plus d’improvisation que de prevu; du n6gre dans beaucoup d’anglais. Que cela soit fait pour nous donner du vertige et de l’ivresse, nul doute; ma's Delteil vaut in- finiment mieux que toutes Ies jouissances du music-hali. Et si le sifecle s’en accomode et n’en veut sortir, pourquoi Delteil ne sortirait-il pas du silele ? C’est bien â vous Delteil d’etre sen timental! C’est bien â vous de nous donner le spectacle de la facilita, de l’emiettement d’une force ! M£fiez-vous: plus vous nous donnerez de la Joie, plus vous nous satisferez, plus vous vous preparez un pit£ux declin. Vous devriez savoir que pour tomber â vos pifeds, il ne nous faut qu, un croc-en-jambe Benjamin Fondane L’Inhumainţ Decor; Calvacanti II ne faut pas imiter la nature (Stendhal)