13 L’ŒUF DUR 13 le docteur Walpole l’a fort bien constaté depuis. Je trouvai à Douvres un exprès qui m’informait que les intrigues de la comtesse, ma tante de La Grange-Batelière, m’avaient procuré un poste dans la diplomatie polonaise afin de mettre un frein à mes déportements. Je couchais donc avec la baronne malgré son âge, ainsi qu’avec les soubrettes et les filles de cuisine, et au lieu de prendre la route de Paris, je crevai mon cheval à lui faire suivre celle de Rome, pour y faire viser mes passe ports et obtenir le grand sceau. Nous arrivâmes en plein car naval : dominos, polos et lotos couraient sous des costumes charmants, et j’eus plus d’une occasion de montrer le tempéra ment amoureux que je tiens de mon oncle. Le jeu et les femmes devinrent le principal de mon existence : tous les miroirs des boudoirs reflétèrent mon nez précocement bourgeonné et ma perruque défrisée, et c’est miracle que je n’aie pas été pendu cent fois dans Rome. Enfin ! las de cette existence indigne d’un jeune homme à peine sorti du collège, et qui faisait le malheur de son père, bien que celui-ci ne se soit jamais plaint, je renon çai à l’idée d’aller me jeter à ses pieds pour lui demander son pardon. Ah ! que j’eusse aimé pourtant une explication à ce sujet. Ah ! que mon cœur plein de tendresse eût aimé à débor der dans un entretien avec ce vénéré père que je n’estimais d’ailleurs que juste ce qu’on doit d’estime à un père qu’on sait pourri de vices et ruiné par le jeu et les femmes. Ce fut aux pieds d’un moine théatin des environs de Naples que j’allai me jeter et je lui fis le récit de mes déportements et de mes fautes. Il me conseilla de rejoindre mon poste dans la diplo matie et me reconduisit ainsi que mon précepteur jusqu’au milieu des montagnes de la Calabre, alors infestées de bri gands qui manquèrent bien de me garder avec eux, ce que j’aurais accepté à cause de leur soubrette qui me dépouilla de tous mes ducats. Nous nous quittâmes le plus galamment du monde après une partie de pharaon où je regagnai les ducats volés et mon porte-manteau. Arrivés sur le Rhin, mon pré cepteur et moi nous ne pûmes traverser les lignes ennemies, et c’est ainsi que je me trouvai forcé de prendre les armes contre mon pays d’adoption, car certainement, né dans le Pié mont d’une mère savoyarde comme toute la famille de Pletz- Mœringen et élevé à Cologne, bien que j’en aie dit, j’ai tou jours eu une grande admiration pour nos hommes de lettres, notamment pour les latins. Deux fois blessé à Northlingen comme lieutenant du 51 e chasseur, de Saxe-Breslau, je parvins à m’échapper déguisé en laquais et à me réfugier dans un cou vent où je laissai dans le cœur de chacune des novices des traces de mon passage. Arrivé à Varsovie, le roi qui était à son jeu