L’ŒUF DUR 13 16 MARCEL ARL4ND Histoires édifiantes I Vie de saint Aposthase On ne sait pas exactement en quelle année naquit Aposthase. C’était un enfant chétif et blond, fils du tyran d’Halicarnasse. Il boitait légèrement. A huit ans, il faisait brûler VIliade, réci tait l’Odyssée sans erreur, et chanta d’une voix si merveilleuse un hymne à la pureté que non loin de là une femme en couches retint ses cris. — « T’accorderai-je moitié de mon royaume, demanda son père en l’embrassant. — Plutôt, répondit l’enfant, la mort de ce gros cancre d’officier qui sourit béatement et par flatterie. » Il aimait les communs et les fermes. Les esclaves s’enivraient et sentaient le fumier. Les femmes se laissaient trousser à chaque buisson. Ce monde lui était aussi étranger que le temple où l’encens l’affolait. De la domesticité ou du temple, il n’eût su dire lequel l’attirait davantage et lui semblait le plus chimé rique. Rouler sa tête contre la fourrure des chats : jeu délicieux. Un jour qu’il caressait un pigeon apeuré, il sentit sa main se fermer sur le cou de l’oiseau et l’étreindre. Pour étouffer ses cris et ne point voir sa souffrance, il se coucha sur lui, les dents claquant d’angoisse et la main enserrant toujours la tendre victime. Quand celle-ci se fut roidie, il constata, non sans sur prise, que la volupté douloureuse qu’il avait éprouvée s’était traduite comme pour un acte d’amour. Ce fut son initiation aux fêtes érotiques. Il devint roi et jamais tant de douceur ne fut mêlée à une telle cruauté. Tourmenté par la charité, il fit brûler la moitié d’Halicarnasse, puis alla de ruines en ruines distribuer ses richesses.