17 L’ŒUF DUR — 13 Parfois, songeant que des hommes souffraient de la faim ou de la maladie, il jeûnait pendant plusieurs jours et se faisait enfoncer dans la chair des épingles ardentes. Comme il craignait que son âme inoccupée s’étiolât et perdît sa noblesse, il déclara la guerre à un royaume voisin. Du balcon de son palais, il voyait défiler les armées. Levant les bras au ciel : « Voici donc ces hommes devenus des choses, soupira- t-il ; nul ne les prendra-t-il en pitié 1 », et il se lamentait sur eux. Or un jour il fit supplicier une jeune fille. On l’avait mise nue sur une table ; et de savants bourreaux la sciaient depuis l’aine jusqu’à la tête. De son trône le roi contemplait ce spec tacle avec des pleurs et de doux gémissements. Une telle dou leur lui vint à l’image de ce tendre corps martyrisé, qu’il s’éva nouit. Quand il revint à lui, le Christ était à son côté, triste et lui montrant ses cinq blessures. Aposthase s’enfuit au désert. Il s’émascula avec une coquille d’huitre. Puis il songea qu’il avait ainsi une facilité trop grande à éviter les tentations charnelles ; pour se punir, il se prostitua aux marchands des caravanes et jusqu’à leurs esclaves. Il jeûna pendant deux mois et resta trois ans sur une colonne, tenant d’une main sa jambe gauche. Puis il comprit que pour certaines âmes, le suprême châtiment est de ne faire en bien comme en mal nul exploit. Il vécut alors modestement dans une chaumière et cultiva son jardin. Il fut supplicié à Rome. Sous la dent des lions il attestait encore le nom du Seigneur. De sa tombe naquit un grand lys rouge, et les malades qui s’en approchaient étaient guéris. Saint Aposthase est honoré le 20 décembre, jour de la fête de sainte Philogone. II Le comte de Lafaulx, dont Voltaire dit qu’il était sinon le premier, sans doute le second homme d’esprit français, se maria à 22 ans. Il était beau, plus riche qu’un fermier général et d’excel lente noblesse. Il venait de publier ces Epigrammes que Fréron pilla sans modération. Il épousa une danseuse, malgré quoi toute la cour, Louis XV en tête, assista au mariage. Le comte de Lafaulx, dit la chronique, aimait à en mourir sa jeune épouse. Huit jours après son mariage, un domestique accourt à lui (il était à Versailles), l’amène à Paris, dans son propre hôtel, devant la porte de la chambre à coucher de Mme de Lafaulx, puis s’esquive.