L’ŒUF DUR — 13 26 Devant la porte, il contemple le jeu et les petits fruits ronds sur la terre brune. Un valet lui porte un coup de poing à l’épaule. Il recule et crie aux autres de le défendre. Le second court sur lui et lui donne un coup d’ongle au visage, sous l’œil, qui fait couler le sang. Il comprend alors et essaie de fuir. Mais le troi sième le rattrape à la porte, le soulève et lui précipite la tête contre le mur, il crie, le sang lui coule par le nez, par les oreilles, le suffoque, le baigne. Il tombe, il pleure dans sa manche comme un petit enfant, il s’accroche aux aspérités du mur, se soulève et appelle tout doucement, souvent, le nom de sa maîtresse. Elle, de l’autre côté, l’oreille collée à la cloison, l’écoute mou rir pleine d’horreur. Sa gorge se soulève sous les coups de son cœur. Il sanglote dans sa manche en appelant le nom de sa maî tresse. Les valets se rapprochent et, par-dessus le cadavre, se parlent. Dans la salle le danseur, en sautant, atteint les lumières. Les paysans, assis autour de lui, rythment sa danse en frappant dans leurs mains, en heurtant le sol avec leurs gros bâtons. Le jeune seigneur rejoint la jolie servante dans la petite pièce en bois qui est derrière la boutique. « Je reviens à toi les mains sales de sang. Pour te tenir, pour te faire crier, j’ai tué. Le petit garçon meurt au travers de la porte. Tu as voulu que pour toi je fasse mourir. Prends-moi maintenant, je veux te tordre sous mon corps ». Il saisit ses poignets, il veut atteindre sa bouche, elle se défend sans rien dire. Le compagnon du seigneur ouvre la porte, il arrête à l’épaule son jeune ami. « Cher vieux, dit-il, les chevaux sont prêts. Les fourrures sont dans la voiture. Il faut se hâter, sinon nous ne verrons plus pour nous guider, la lumière rouge du vieux château. Les loups et la nuit gêneront notre route. Venez ». La plumeuse d’oie cède à la servante son tabouret devant la porte. Elle s’assied et regarde la nuit monter dans les raisins. Elle frappe ses genoux et rythme une chanson qu’elle invente. Les loups aboyant à la lune ont décroché la petite lumière Ils ont mangé ce petit cœur d’enfant Mon fils mort, mon premier fils, le seul fils que j’aurai...