L’ŒUF DUR — 13 44 automobiles avant d’en trouver une où l’on voulût ou pût nous prendre ensemble pour nous conduire au Cap Ferrât. Quand j’arrivai au Cap, Annie vint à ma rencontre, me ten dit ses mains et pendant que je les embrassais m’apprit que nous déjeunions tous les deux seuls à Saint-Jean. Nous ne nous dîmes presque rien. Je me sentais pris de paresse et trouvais déjà beaucoup de peine à imaginer le visage qu’elle avait hier. Journée terne. Elle ne prenait plaisir qu’à me contredire, et je n’en trouvais qu’à deviner ses goûts pour l’obliger à mentir. Ainsi ai-je préféré les Bordeaux aux Chablis, le côté de Cannes au côté de Menton, l’aviron au tennis, Rémy de Gourmont à Restif de la Bretonne. Les teintes de la mer même nous mirent en désaccord, et je ne lui laissai que des couleurs pénibles, le noir, le gris, le jaune, à voir. Elle se traîna pourtant à mon bras tout le long du chemin de douane qui mène à Beaulieu. L’eau était tentante et, malgré le froid, appelait des besoins de plon ger nu. Mais Annie jalouse, la jugea laide et sale. Un grand ennui nous prit. Nous nous demandions pourquoi nous étions là ensemble. Nous n’eûmes pas même envie de visiter la maison qui tourne avec le soleil et trouble les points cardinaux pour posséder à chaque instant la lumière chaude du midi. Les olives et les arapèdes nous dégoûtaient également. J’eus de la peine à me conduire envers Annie comme un convenable prétendant d’amour. Elle se révolta : « Laissez-moi ! Vous m’embrassez mal, vos baisers sont secs. On dirait que vous passez votre temps à lire la Nouvelle Revue Française. « Mais quel crime ai-je commis dans une vie antérieure pour me trouver si cruellement punie ? » Nous revenions sur nos pas par d’autres chemins, la route d’abord, puis des sentiers et des escaliers de chèvres. Ça pre nait des allures d’Italie. Il y eut une première baisse de soleil. Les ifs devenaient plus haut que lui. Annie eut peur de tout, se rapprocha de moi. Elle aurait voulu mettre sa tête sur mon épaule, comme on a coutume de faire sur d’imaginaires dans les romans, et d’autres dans la vie. Mais depuis un moment, je songeais à la conférence de Cannes et supportais toutes les maladresses et les stupidités qu’un an ou l’autre, Maurras s’obligera à réparer. Elle eut des larmes aux yeux. « Vous êtes poli comme une pierre brute ou une pyramide, laissez-moi. » Je dus lui obéir, non, je ne pouvais pas m’insurger et de retour à Nice, tout occupé à ne rien penser sur Annie et sur moi, j’ai oublié de dîner. Un vent aigre se lève. Le ciel est plein de lourdes masses sombres, et par peur se signe d’éclairs. Vous, mon amie, à Paris, n’avez-vous pas de la neige ?