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L’ŒUF DUR — 13
MAURICE DAVID
Une semaine à Nice
Première lettre. Vendredi.
Vous ne vous imaginerez jamais, j’ai déjà un amour. On me
propose un amour,plutôt.Dois-je le prendre? Je ne vous demande
pas de conseil. Il y a trop de lumière dans le soleil, ici, pour
que j’aie recours à vos subtilités. Seulement je vous tiens pour
un miroir.
Si je ne vous racontais pas toutes mes heures, il me semble
qu’elles ne seraient pas très vraies, comme je ne suis sûr d’avoir
encore une tête, le matin, à Paris, qu’en en jouant par exercice
devant votre psyché. On me propose un amour. Il a vingt ans
et fond si bien avec ses lèvres les glaces qu’il mange, qu’on a
l’impression de voir ces glaces diminuer sans que lui en avale si
peu que ce soit. C’est au Cap Ferrât que je l’ai rencontré. J’étais
allé déjeuner là-bas pour ne pas appeler à moi une habitude
dès mon premier jour de vacances. Il y a trop loin de Nice au
Cap, me disais-je, pour que tous les midis m’y revoient. Et
cependant demain j’y retourne, et après-demain encore. A
cause de Suzanne Vié. Non, pas pour elle, mais par sa faute.
Vous ne la connaissez pas beaucoup. Elle a vingt-trois ans
et divorcé. Elle m’a aperçu tout de suite, malgré les précautions
que je prenais de quitter la salle à manger à reculons. Au moment
où je passais près de la table où elle s’asseyait, elle m’a mis la
main à l’épaule. Je lui ai expliqué... « J’aime tant la mer que
je ne veux pas cesser de la regarder - » Mais elle : « Jean-Pierre,
vous allez vous asseoir près de moi pendant que je mange et
m’imaginer un conte vrai de voleurs de train. Permettez que
je vous présente : Manoël von Ritter, délégué d’une Amérique
du Sud à la Société des Nations. » Je me tourne vers von Ritter ;
on le croirait Anglais, et je l’aime mieux ainsi que réellement
étranger. « Monte-Carlo vous plaît plus que Genève ? »
— « Non, non, je ne viens pas ici pour Monte-Carlo, mais pour
l’amour. Suzanne ne rougit, jamais. » « Où est-ce l’amour ? »
demande-1-elle simplement. J’ai su depuis que c’était leur