———————— fl L’ŒUF DUR 4 — \ , s’infiltrer consciencieusement dans le drame ou la comédie d’une déclaration. Cependant Jean sentait parfaitement que le silence saturé de toute une poésie provocatrice offrait un grand danger pour la sécurité officielle de Simonne ; il fixa les yeux sur la pendule ; c’était un meuble immense qui, pour une fois dans sa vie de vieille servante dévouée à des maîtres ordinairement économes de pensée, allait marquer des minutes singulièrement longues et meurtrières ; Jean l’enveloppa d’un beau regard plein d’une chaleur pitoyable, — l’attendrissement éprouvé à l’audition d’un air vieillot qu’on entend à force de bonne volonté; — et, pour mâter un peu le silence menaçant, il articula : « Oui, je sais, je suis très ridicule socialement, mais je sais aussi qu’un jour vous m’en saurez gré. » Butée, aigrie par des pensées gros sières de petite campagnarde dépitée de ne pas être brusquement adorée, Simonne, sur un ton agacé, telle une bergère devant un animal qui s’égare volontairement à l’entrée du bercail, jetait sèchement : « Mais parlez, parlez donc. » Ce ton de commande ment amena Jean parce qu’il voyait dans cet aveu de Simonne prise au dépourvu une inadaptation qui trahissait toute la régu larité mélodramatique de la vie sentimentale de l’institutrice ; et cette réflexion fut pour Jean un répit dans une peine à certains - moments immense : il dit avec un peu d’ironie, sans douleur visible, sur un ton calme et lucide qui pouvait de prime abord choquer dans ces minutes qu’on veut à tout prix mystérieuses : « Allons donc, Mademoiselle ; vous savez bien que vous ne devez rien me donner et que je ne peux rien vous offrir. » L’opposition du devoir de Simonne et de l’impuissance morale de Jean, — d’une virginité exigeable par un mari d’une moralité diplômée d’Ecole Normale ou cautionnée par une ferme de rapport, — et de l’impossibilité pour Jean d’obéir à des langueurs auto risées, cet épigraphe de chapitre d’analyse cloué, à voix posée, sur des minutes crépusculaires et silencieuses, irrita Simonne : N’avait-elle pas déjà bâti plusieurs fois son cœur sur le modèle d’une rêverie élégante et réservée de Sully Prudhomme ? Elle haussa les épaules ; elle dit : « Tenez vous campez un person nage. » Cette perspicacité qui ne menait à rien, ne pouvait démonter Jean qui lui répondit avec douceur : « Bien sûr que je campe un personnage, je suis trop maître de moi pour ne pas m’en apercevoir ; mais faites bien attention ; le personnage que j’ai campé ou plutôt que j’ai dû camper, comme j’en connais toutes les verrues, je sais qu’il souffre et que j’en souffre. Alors pourquoi vouloir lui dire des choses désagréables ; laissez-le donc à son chagrin. » Simonne hébétée se retrouvait difficilement -dans ces coupes intellectuelles pratiquées au milieu d’un état