23 L’ŒUF DUR U GEORGES DU VAU Premier Janvier JK }\obert Vaugouin. I Marcelle m’attendait dans sa maison du quartier de l’Abbaye. Ses caresses, la joie grave et douce qui l’animait en ma présence, me touchaient, et je goûtais la saveur de cette volupté frileuse, mais enlaçante, qui se dissimulait mal dans une chambre peuplée de chromos sérieux et alourdie par un épais mobilier de fille pauvre ; j’aimais aussi cette sécurité provinciale qui nous enve loppait tandis que sur la place de l’Abbaye le vent sifflait dans les arbres et secouait interminablement un Christ dont la croix rouillée gémissait dans la nuit. Mais trop souvent, aux heures où la chair se repose de son trouble et où se réveille un grand besoin de s’épancher, je trouvais Marcelle obstinément étran gère ; je jouais dans la vie de son cœur le personnage énigma tique et fatal : dès que j’esquissais devant elle des confidences que j’eus aimées affectueusement accueillies, elle concluait à une manière de bluff pitoyable, à une feinte mièvrerie et je sentais tout de suite qu’elle avait dans l’esprit une sorte d’icône aux lignes sévères qui me représentait et que, entre cette image à demi mystique et ma maîtresse, s’échangeait un dialogue défini qui m’échappait totalement. Et rien n’était triste pour moi, après les belles heures de plaisir, comme le spectacle de cette chambre frêle dans laquelle ma peine ou ma joie n’avait aucun droit, de Marcelle enivrée, silencieuse, prolongeant nos étreintes d’une rêverie vague et violente dont ses yeux perpé tuellement mouvants m’offraient l’impénétrable reflet. Dans ces moments le paysage lui-même m’était hostile : la place de l’Abbaye, sombre, squelettique et glacée, avait quelque chose de doctrinaire et semblait me contraindre à apprendre une leçon prétentieuse et extravagante. Aussi, en ce soir de décembre où l’année allait finir, retardais-je ma visite à Marcelle au souvenir de ces heures si cruellement inhospitalières.