39 L’ŒUF DUR — là — Que je suis seule, dit-elle ! Je ne ferai plus de peinture. D’abord j’ai oublié ma boîte de couleurs chez mon peintre. Et je cherche un vieillard, pour assurer mes jours. C’est beaucoup moins compliqué, et c’est si proche de la peinture. Je continuerai le chant, parce que j’ai du talent. J’irai à l’Opéra. Mais j’ai si mal à la gorge. Sur les conseils de son maquignon, elle fit de son hôtel une maison, reçut nombre de clients : — Que je me sens seule, dit-elle, parmi ces hommes en quête d’amour. Plus il y a d’hommes, plus je me sens seule. C’est Guez de Balzac qui l’a dit, ou Jules Sandeau, ou un autre, ou n’importe lequel. Mais que je me sens seule ! C’est pourquoi elle recevait elle-même les habitués de la maison ; et des passants. — Quelle pauvre vie, je mène, dit-elle ! Je ne suis vraiment pas assez sage. Mais la sagesse est superflue. C’est le sage qui le dit. Je vais faire du théâtre. Le théâtre, c’est la vie. Ils se ressemblent tellement ! Ou si peu 1 Mais c’est la même chose ! Et comme c’est la même chose de dire que tout est la même chose ! Elle happa au passage le premier jeune acteur qui entra. — Que je suis triste et seule, dit-elle ! Mais mon chauffe- bain est cassé. — Qu’à cela ne tienne, répondit-il ! Venez chez moi et je vous apprendrai la pantomime. — Enfin sauvée ! dit-elle. Mais elle attrapa la vérole, et comme elle ne revenait jamais en arrière, elle resta malade jusqu’à sa mort sans trop pleurer.