L’ŒUF DUR — 14 40 JOSEPH DELTEIL Demi-Lune Choléra : une brune de 15 ans, une brune au quinzième degré. Le visage est plein de sable, de jaunisse et de confiture. Longue, longue, longue fille I Deux jambes avec un nez dessus et un sexe entre. Les cheveux par-dessus le marché. Frais dans ce visage d’épine-vinette il y a des yeux d’érable. L’aiguillon, c’est la langue, et les bœufs les joues. Le front maigre et rectan gulaire d’un corbeau. Au second plan, comme deux lunes rousses, les seins. Corne : c’est peut-être la plus sympathique, mais à coup sûr la plus grasse. Elle a de pleines mains de graisse et les joues roulées dans le suif. Elle a dix-sept ans et son ventre neuf mois de plus. Je ne veux pas dire qu’elle est grosse, mais grasse. Les mots en asse fournissent des rimes très sensuelles, des rimes qui forniquent. Ça sent le beurre, la vache, et M me Butter fly. Autour de la scène, une atmosphère chaude, toute en vapeur, une de ces atmosphères qui bouchent les oreilles et crèvent les yeux. Quant à Corne, c’est une corne de mélancolie. Alice : Alice est une Nîmoise. La connus-je un jour de Mistral sur une garrigue devant le Rhône ? Elle a quelque chose du bouc et de la puce. Des yeux humides dépérissant dans un terrain calcaire. Elle a dix-huit printemps, mais beaucoup moins d’automnes. Elle est maigre et dure, toute imprégnée de sel, de résine et d’os. Son corps est dévoré d’allusions : allusion à l’étang d’Aigues-Mortes, allusion à la fourmi, allusion à M me de Charnepunesse. C’est notre fifille, à Barrés et à moi Elles habitent trois maisons contiguës, au bord de la Marne, à Charentonneau. Je crois qu’un honnête romancier indiquerait ici la profession de leurs père et mère : des pères marchands de moules et des mères vendeuses de chaussettes, ou inver sement. Mais (heureusement) je ne suis pas un bon romancier. Je ne vous parlerai donc, ô mes chères lectrices, que de mes trois petites filles, abstraction faitè de leurs ancêtres.