11 L’ŒUF DUR 15 — Seulement, tu emploies toujours des mots que je ne com prends pas : Quinconce, numide. — Voilà, susurra Romulus, la poésie pure... — Non, gronda Remus qui ne tenait pas à en savoir long sur la poésie pure. Ecoute-moi plutôt : ton amie me plaît, mais je viens de tant accomplir l’amour que tu devrais bien m’en traîner. Et ce disant il le ramenait vers la méprisante et silencieuse nièce d’Apollon. Romulus leva l’œil aux cieux, puis, comme tout le monde, les yeux au ciel, il répondit, le cœur tout en tressaut : — Laisse-la aller, Remus, et moi tranquille. Du coup, on courut l’assommer ; mais il sortait déjà de la mêlée en rampant, tandis que tous l’imaginaient par terre sous Remus et compressaient celui-ci, croyant le compresser lui. Or, la nièce d’Apollon avait disparu. Romulus voulut la poursuivre, puis il pensa qu’il découvrirait ainsi ses traces à tous, et revint à pas lents vers le creux du vallon. Il trouva Remus en train de découper au couteau le bout de sol qui portait son dessin d’orientation. Il tomba à ses pieds. — Remus, pardonne-moi, et accorde-moi d’elle ce seul sou venir. — Cudedieu, lui lança Remus avec son poing dans les naseaux. Du sang coula. Romulus avait envie de pleurer. Remus eut pitié de lui. — Nous transportons ton invention au sommet de la colline, et là ça pourra servir, comprends-tu ? Mais ne t’oppose plus désormais à mes désirs. Tempus est monere. Romulus n’entendait plus clairement. Il s’éloigna de nouveau., occupé à tamponner son saignement de nez avec un pan de sa tunique et opérant dans son âme à de douces inversions. N’est pas mon poème d’un âne. M’aime la nièce d’Apollon. Tempus is money. Le temps, le temps... Il titubait. La nuit dévalait des monts ombreux. Tut, zut, songea Romulus, et il se creusa une place dans la boue du Tibre et s’endormit. (A suivre.)