L’ŒUF DUR 15 22 sérieuse animent mon scepticisme en même temps que ce goût très sain des gestes des intimités de la femme, laborieusement satisfait à travers les âpres étapes de l’adolescence. Et mainte nant, un an après, jeune étudiant assoupi au milieu des livres profanes, par l’après-midi illimité de Paris au travail, je m’en dors crispé sur la robe de taffetas noir que porte là-bas Suzanne aux jours des réunions mignardes d’avant Carême ; c’est le cou enlacé par des bras frais que je me dénoue de ce sommeil de contrebande si amoureux et si calme (un sommeil sans fièvre comme sans complaisance) et Suzanne livrée à mes songes, s’évade ardente mais encore pure ; prudemment je remercie mon rêve de son audace qui n’a rien souillé. Le soir monte. Lucidité. Viennent maintenant la nuit ,les amitiés, la longue veillée de l’intelligence attendrie et joyeuse, les cafés innombrables où se nouent les gerbes spirituelles, la dissertation subtile rédigée sur la table de marbre, le bock pesant, rituel, cloué à mes côtés ; dans un coin sur la banquette, muet, immobile, le regard clos sur sa pipe en merisisier, Lotte m’apprend à doubler les démarches d’une intelligence dogma tique par un spectacle plein de splendeur : le Dieu nordique qui refuse la continuation d’un combat dérisoire et ne résiste plus au néant. Cœur vide, cœur hésitant qui va chercher de façon pitoyable un don total. Un souvenir. Je me rappelle cette journée où j’ai signé l’abdication de l’aventure, une longue journée distendue des tourbières de la Somme à la plaine de Caen — Paris glissant pour quelques minutes, avec sa cohue grise, entre deux gares. Je venais de