94 ÇA IRA ! d’une sensation. André De Ridder ajoute qu’en agissant ainsi ils évitèrent l’émotion littéraire des romantiques et des premiers impressionnistes. Affirma tion toute gratuite, car peut-on imaginer œuvre plus anecdotique (malgré ou plutôt à cause de son dynamisme de contrebande)que le Songe duVagabond de Le Fauconnier, par exemple ? Cet art, quoiqu’en dise M. De Ridder sort bien de la même inspiration réaliste et superficielle qui caractérisa l’impression nisme. Et loin d’être un progrès, il est un retour vers le passé, dont il est bon de signaler le danger. Roger Avermaete, dans différents arti cles de critique parus dans “ Lumière „, semble également vouloir prôner cet abandon des conquêtes réalisées — au prix de quels efforts ! — par les cubistes de la première heure et souhaiter qu’on en revienne vers un art essentiellement sensuel et conçu pour la seule satisfaction des yeux. “ Comme on a fait des vers non pour le sens mais pour le son, — comme on a fait de la musique qui ne voulait rien dire, pour le simple plaisir de faire de la musique, — il est très possible de faire de la peinture pour la joie de la couleur. Ceci me semble une excellente tendance „ (N° 8, p. 124). Nous avons dit en quoi l’expression nisme est plus et mieux que cet u impres sionnisme exaspéré „, ainsi qu’ Aver maete baptise lui-même ce genre en parlant du peintre Jan Cockx. En somme, cette conception du rôle de la peinture se réduit à celle qu’Henri Matisse émettait, il y a longtemps, en souhaitant que “ l’œuvre d’art fut pour l’homme d’affaires, aussi bien que pour l’artiste de lettres un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à un bon fauteuil qui le délasse de ses fatigues physiques „. On avouera que méconnaître les recherches et les résultats atteints par les peintres cubistes, au point d’en revenir à cette puérile théorie du tableau destiné uni quement à flatter les yeux par d’aimables couleurs, n’est pas précisément être partisan d’une évolution progressive de l’art pictural. Aussi cette tendance, si elle était unaniment adoptée, ne serait- elle autre chose qu’une dangereuse rétrogression, une réaction néfaste. D’ailleurs, la meilleure preuve qu’elle est loin d’être la conclusion logique et salutaire du cubisme intégral, c’est que la plupart des peintres qui la suivent, au lieu d’avoir évolué de la forme intransi geante du début vers ce succédané d’expressionnisme, n’ont pas participé au mouvement initial : à cette époque ils fabriquaient encore des toiles impres sionnistes. Ce ne fut qu’après coup, lorsque les principes du cubisme eurent définitivement triomphé, qu’il leur vint l’idée de changer la forme de leur art, tout en restant incapables d’en régénérer l’esprit. Et maintenant, ce sont précisé ment ceux-là qui prétendent être les seuls à avoir choisi la bonne voie, créant ainsi une confusion qui menace de discréditer l’art expressionniste tout entier. Car en voulant réduire celui-ci à une simple transformation technique, ils sont cause de ce que le public ne cherche pas à en apprécier la valeur véritable. De plus, de cette façon ils le rendent accessible à n’importe quel “ passéiste „ qui, se contentant de faire quelques concessions à ce qu’il croit être la mode nouvelle, deviendra un fort médiocre expressionniste ; finalement le public en