108 ÇA IRA ! en brave homme qu’il est, continue à vouer tout son lyrisme et toute sa ferveur aux animaux — des oies en l’cccurence. M. Gogo s’affole devant le luxe frelaté des nouveaux riches et M. Van Beurden réussit à merveille la carte-postale illustrée. Mais tout ceci sont choses connues depuis longtemps, de même que le symbolisme pré tentieux et stérile de Gustave Van De Woe- steyne. Il y a d’autres sujets d’admiration et d’étonnement à cette exposition. Et tout d’abord le polyptique de M. Léon Frédéric, qui porte ce titre spirituel : Tout est mort — mais iout ressuscitera — par l’amour, “ l’œuvre picturale la plus remarquable qui chez nous soit née de la guerre „ dit le Soir. La vérité est que M. Frédéric a commis là un beau carnage. On s’est beaucoup extasié devant le troisième panneau qui présente de façon fort appétissante quelques milliers de cadavres ensanglantés : ce grouillement informe de chairs flasques et bleuâtres, vous a une saisissante ressemblance avec un plat de moules fraîchement sorties de leurs écailles. Par contre, les volets de droite, où des millions de petits enfants roses se bousculent dans les limites étroites du cadre, font penser à une succulente portion de cre vettes. Tout cela est fort beau... “ et d’une conception si élevée, dit Y Etoile Belge, si pure, empreinte d’un caractère si évangélique, que nous ne connaissons rien dans notre école qui, de ce point de vue, puisse y être comparé „. A cause de la haute portée morale et éduca tive de cette œuvre, nous nous permettons d’en conseiller vivement l’achat au Musée Spitzner, dont elle pourra avantageusement remplacer les panneaux décoratifs. Nous nous en voudrions de ne pas signaler également la pathétique composition qu’a enfantée le génie miraculeux d’un septua génaire : M. Evariste Carpentier. Ce doux vieillard s’est juré de mettre désormais son art un service de sa patrie en stigmatisant les atrocités perpétrées par “ le boche „. Il nous donne ici le premier fruit de son effort : Le drame de Bligny. Quatre braves gens, dont un curé, les yeux bandés, attendent avec beaucoup de patience qu’un peloton de “ feld- grauen „ les délivre des tristesses d’ici-bas. Afin de nous faire toucher du doigt la fragilité de la vie humaine, l’artiste a fixé sur sa toile le moment précis où l’officier abaisse son grand sabre. C'est là le côté philosophique de l’œuvre, qui n’a cependant pas fait oublier tout souci plastique ; afin d’obtenir un harmo nieux équilibre, le peintre a eu la bonne idée de varier l’attitude de ses héros : trois d’entre eux sont représentés de face, tandis que le quatrième tend ironiquement son cul aux balles de l’envahisseur... C’est tragique, mais d’un réconfortant stoïcisme. Et nous tenons à féliciter le jury, dont le patriotisme élevé nous a permis d’admirer cette belle chose, d’autant plus qu’il nous a donné 1 occasion de renouveler notre noble exaltation, devant Y Exécution de Miss Cavell de M. Van Den Bruel, qui con stitue un agréable pendant au chef-d’œuvre de M. Carpentier. Et voilà donc une excellente recette pour se faire accepter à un salon officiel : il suffit d’exploiter le martyr des suppliciés de l’occu pation, à moins de se contenter d’élire domicile dans la rue Edith Cavell à Bruxelles, comme le firent les deux tiers des exposants ; c’est un moyen tout aussi efficace... Et ceci expiique probablement pourquoi le maître français Henri Matisse, ayant omis de satisfaire à ces nécessités, s’est vu refuser l'accès du Salon — bien que son envoi soit mentionné dans le catalogue. Nous nous souvenons avoir pu admirer la toile en question, il y a quelques semaines, chez Bernheim-Jeune à Paris où elle nous ravit par l’intensité d’expression qui en émane.