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ÇA IRA !
en brave homme qu’il est, continue à
vouer tout son lyrisme et toute sa ferveur aux
animaux — des oies en l’cccurence. M. Gogo
s’affole devant le luxe frelaté des nouveaux
riches et M. Van Beurden réussit à merveille
la carte-postale illustrée.
Mais tout ceci sont choses connues depuis
longtemps, de même que le symbolisme pré
tentieux et stérile de Gustave Van De Woe-
steyne. Il y a d’autres sujets d’admiration et
d’étonnement à cette exposition. Et tout
d’abord le polyptique de M. Léon Frédéric,
qui porte ce titre spirituel : Tout est mort — mais
iout ressuscitera — par l’amour, “ l’œuvre
picturale la plus remarquable qui chez nous soit
née de la guerre „ dit le Soir. La vérité est que
M. Frédéric a commis là un beau carnage. On
s’est beaucoup extasié devant le troisième
panneau qui présente de façon fort appétissante
quelques milliers de cadavres ensanglantés : ce
grouillement informe de chairs flasques et
bleuâtres, vous a une saisissante ressemblance
avec un plat de moules fraîchement sorties de
leurs écailles. Par contre, les volets de droite,
où des millions de petits enfants roses se
bousculent dans les limites étroites du cadre,
font penser à une succulente portion de cre
vettes. Tout cela est fort beau... “ et d’une
conception si élevée, dit Y Etoile Belge, si pure,
empreinte d’un caractère si évangélique, que
nous ne connaissons rien dans notre école qui,
de ce point de vue, puisse y être comparé „.
A cause de la haute portée morale et éduca
tive de cette œuvre, nous nous permettons
d’en conseiller vivement l’achat au Musée
Spitzner, dont elle pourra avantageusement
remplacer les panneaux décoratifs.
Nous nous en voudrions de ne pas signaler
également la pathétique composition qu’a
enfantée le génie miraculeux d’un septua
génaire : M. Evariste Carpentier. Ce doux
vieillard s’est juré de mettre désormais son art
un service de sa patrie en stigmatisant les
atrocités perpétrées par “ le boche „. Il nous
donne ici le premier fruit de son effort : Le
drame de Bligny. Quatre braves gens, dont
un curé, les yeux bandés, attendent avec
beaucoup de patience qu’un peloton de “ feld-
grauen „ les délivre des tristesses d’ici-bas.
Afin de nous faire toucher du doigt la fragilité
de la vie humaine, l’artiste a fixé sur sa toile le
moment précis où l’officier abaisse son grand
sabre. C'est là le côté philosophique de
l’œuvre, qui n’a cependant pas fait oublier
tout souci plastique ; afin d’obtenir un harmo
nieux équilibre, le peintre a eu la bonne idée
de varier l’attitude de ses héros : trois d’entre
eux sont représentés de face, tandis que le
quatrième tend ironiquement son cul aux
balles de l’envahisseur... C’est tragique, mais
d’un réconfortant stoïcisme. Et nous tenons à
féliciter le jury, dont le patriotisme élevé nous
a permis d’admirer cette belle chose, d’autant
plus qu’il nous a donné 1 occasion de renouveler
notre noble exaltation, devant Y Exécution de
Miss Cavell de M. Van Den Bruel, qui con
stitue un agréable pendant au chef-d’œuvre
de M. Carpentier.
Et voilà donc une excellente recette pour
se faire accepter à un salon officiel : il suffit
d’exploiter le martyr des suppliciés de l’occu
pation, à moins de se contenter d’élire domicile
dans la rue Edith Cavell à Bruxelles, comme
le firent les deux tiers des exposants ; c’est un
moyen tout aussi efficace...
Et ceci expiique probablement pourquoi le
maître français Henri Matisse, ayant omis de
satisfaire à ces nécessités, s’est vu refuser l'accès
du Salon — bien que son envoi soit mentionné
dans le catalogue. Nous nous souvenons avoir
pu admirer la toile en question, il y a quelques
semaines, chez Bernheim-Jeune à Paris où elle
nous ravit par l’intensité d’expression qui en
émane.