153 ÇA IRA ! une bande de bouleaux, macabres pierrots, tout blancs sous la lune, qui semble un chef d’orchestre ayanttropbu. Jazz-band sarcastique — débandade folle — Un souffle, le trou d'un tunnel : plus rien. mai 1920 Jean KAROL Depuis quelques temps, nous assistons à un regain de la vieille conception romantique de l’art social, éducateur des masses et dispensateur de beauté accessible à tous. De nombreux peintres et esthètes, aspirant à se mettre entière ment dans la note du jour, se figurent utilement servir les nouvelles doctrines humanistes en préconisant à l'artiste de se placer au niveau de la foule ; son but suprême, disent-ils, doit être de “ servir „ son semblable en le faisant participer aux richesses dont son âme est pleine. Une telle idée est fausse et dérive d’un idéalisme à la fois puéril et vieillot. Le peintre qui se laisserait guider par elle ferait montre d’un opportunisme qui est tout aussi funeste en art qu'en politique. Intransigeance implacable, radicalisme poussant les principes jusqu’à leurs conséquences extrêmes, voilà la seule tactique salvatrice en tous domaines. L’artiste doit accomplir son œuvre sans se préoccuper si toutes ses intentions seront comprises. Aucune concession à. l’absence de culture du public ne lui est permise. Autrement il aurait bientôt fait de perdre les richesses dontildispose, en les dispersant Sans profit'aucun pour personne. Il faut qu’il concentre au plus profond de lui-même le précieux trésor de ses pensées et de ses sensations. C'est alors le devoir du spectateur d’essayer de s’éclairer d’un reflet de cette lumi neuse sensibilité. Et voilà définie une excellente règle permettant de distinguer le peintre de valeur, replié sur lui-même et soucieux de ne pas appauvrir son art par d’oiseux bavardages explicatifs, de l’artiste beau parleur, qui étourdit ses auditeurs au moyen d'étincelants commentaires mais qui y dépense le meilleur de sa verve et de ses ressources. Paul joostensn’est pas de ces derniers. Chez lui, nul gaspillage d’énergie créatrice dans l’édification de vaines théories, dépourvues de tout intérêt plastique; pas d’attitude à.priori devant le problème de la vie, ni de dogmes préconçus adoptés à 1a. suite de lectures mal digérées. Paul joostens coudoie les hommes et traverse la vie en silence, sans un geste, sails une parole. En apparence, il semble ne pas réagir au contact des êtres et des choses — mais s’il s’interdit ainsi toute manifestation extérieure de ses Sensations, c’est pour mieux les garder intactes en lui-même, pour pouvoir les mûrir à son aise et les réaliser pleinement au moment de la création. Toute cette force vivante qu'il a lentement emmagasinée se déten d alors et se projette sur ses toiles. Mais cette phase-là nul n’y assiste et ainsi nous ne connaissons de Joostens que son mu tisme, son regard halluciné et ses allures discrètes de contemplatif qui dédaigne de se mêler à l’agitation du monde qu’il interprète. Mais nous avons son œuvre et elle nous revèle lumineusement les aspects les plus secrets de cette forte vie intérieure.