ÇA IRA ! 155 les émotions les plus intimes que lui suggère la vie. Et cette fois-ci la forme est à la hauteur de la vision synthétique qu’elle doit exprimer. Elle aussi tend sans cesse vers plus de simplicité, vers plus de style. Joostens aspire à réduire le rôle des moyens d’expression â sa véritable proportion. Selon lui, la joie de la couleur, le savoureux empâtement de la matière ne doivent pas être buts, mais moyens. D’ailleurs, il ne se sent que médiocrement attiré vers ces effets faciles qui accaparent le meilleur de l'effort et empêchent d’approfondir l’idée ou le sentiment de l’œuvre. Obte nir un maximum de qualité à l’aide d'un minimum d’application manuelle, voilà le véritable but. La couleur en tant que couleur ne l’intéresse pas ; il ne l’admet que comme véhicule de la sen sation à interpréter, Aussi ses dernières toiles sont-elles loins de la débauche de tous criards et grossiers, chers à nos pe'ntres impressionnistes. Tout y est nuance, délicatesse et raffinement. Les couleurs ne s’y heurtent pas en accords étourdissants : une teinte générale, dont les reflets se dispersent sur toute l’étendue de la toile, agit doucement sur la sensibilité du spectateur. La Muse élégante, une des dernières œuvres de Joostens, est caractéristique à cet égard. La simplicité des moyens en est sur prenante : quelques légers frottis de tons pâles et pour ainsi dire fondus dans l’atmosphère générale, quelques traits s'incurvant élégamment entre les facettes colorées. Et cependant c’est tout le mystère, toute la voluptueuse perversité de la femme éternelle qu'il a enclos dans cette toile, à la fois frivole et lourde de sens profond. La fixité cruelle de l’unique prunelle a un charme obsédant, qu'ac centue encore la préciosité des détails synthétiques qui encadrent la figure principale. Objective à première vue, l’œuvre se hausse cependant jusqu’au lyrisme le plus complètement indépen dant de la forme extérieure : car ce n’est pas tant la signification de chaque ligne ou de chaque couleur, prise à part, qu’il s’agit de pénétrer, mais bien de se laisser envahir par l’émotion qui se dégage de l’ensemble. C’est le rythme de l'œuvre qu’il importe de percevoir et non pas le son spécial émis par chaque note. Et ici nous nous heurtons à un des plus fâcheux ma 1 entendus qui séparent l'artiste du public. Quand donc celui-ci comprendra-t-il qu'il est vain de lui expliquer au moyen de longs discours le sens exact des moindres détails d'une peinture, que cela ne peut lui être d’aucun secours s’il n’est pas frappé de prime abord par l’harmonie et la solidité de la construction plastique ? Quand donc s’abstiendra-t-il de harceler l’artiste de questions saugrenues et indécentes au sujet des plus petites particularités de la technique ? D’où lui vient cet incessant besoin du pourquoi et du comment et ne se rend-il pas compte qu’il est des intentions que nul n'a le droit de pénétrer de force et que le peintre lui-même ne saurait commenter d’une façon trop précise puisqu'elles dérivent des impul sons les plus obscures de son être sub conscient. L’art n’est pas une science et une interprétation raisonnée et sèche ment quantitative (chaque objet étant minutieusement pesé et mesuré) des valeurs réelles ne constitue pas la base du tableau. Ce n'est donc pas le devoir du peintre d’en déflorer le mystère par