162 ÇA IRA ! Cela est parfaitement vrai. Mais il est également vrai que l’argent ne peut rien, que l'argent est impuissant absolument. Il ne peut allumer le moindre amour ni faire étinceler la beauté de la moindre étoile, ni provoquer une émotion pure, ni faire éclore la moindre action noble. Les pouvoirs créateurs, les puissances mer veilleuses qui soutiennent le monde et l’enrichissent se manifestent tous en de hors de la sphère sèche et stérile où règne l’argent. Il ne peut acheter que le simu lacre de ces forces, mais non pas ces forces-mêmes ; il ne peut acheter que le semblant de l’amour, l’apparence de l'intérêt, l’imitation de la beauté et la fausse élévation. Le théâtre fait partie de la société capitaliste, en est une institution perma nente au même titre que la Banque et la Bourse, les Entrepôts et les Maisons de Tolérance, Celui qui veut vouer son activité à la réforme du théâtre doit se rendre .dans la sphère du capitalisme et plus il sera soutenu par celui-ci plus se ront grandes les choses qu’il accomplira dans les limites du cercle ou l'argent règne en maître. Il pourra , bâtir de grandes salles richement décorées; le travail, le talent, les dons, le goût et l'intelligence de ceux — des milliers — qui travaillent pour le capitalisme : com positeurs et poètes, chanteurs et acteurs : musiciens et danseuses ; régisseurs et et décorateurs ; seront à sa disposition. Tout cela peut s’acheter au moyen d’ar gent. Mais il ne pourra acquérir la pure et douce émotion qui réunit les éléments des paroles et de la musique, de la danse et du geste, de la mimique et de la plastique et en construire l’image de ce que l’esprit humain renferme de plus grand et de plus noble. Et il n'achètera pas l’attention émue par laquelle les in dividus assemblés verront en frissonnant se confondre leur âme avec la plus idéale manifestation de l’âme collective. Tout l’argent de la terre ne peut inspirer la création de quelques lignes de pure poésie. Comment serait-il alors possible que le capitalisme produisit la tragédie, l’œuvre d’art la plus élevée, qui ne nait que lorsque la communauté humaine est tellement consciente de son unité, lorsque l’individu reconnait si fièrement, et en même temps si humble ment, sa force et ses limites, que le génie créateur trouve tous les éléments du drame réuni déjà par une harmonie intérieure et rangés en hiérarchie disci plinée, au moment où il se prépare à recréer cette conscience et cette con naissance en une image idéalisée de la vie. Tout l’argent de la terre ne peut pas accorder une seule âme au ton pur du recueillement. Comment le capitalisme aurait-il la force d'éveiller dans la mul titude, mécanisée et vide d’âme, le beau désir et le noble état d’esprit que l’œuvre d’art réfléchit avec un éclat adouci, éclairci, immatériel, tel un paysage réflé chi par une nappe d'eau. La vraie réfor me de l'art dramatique ne peut venir que du dedans, c’est-à-dire par l'action des forces idéelles et sociales. Ni l'argent, ni le zèle, le talent et l’énergie ne réveille ront la tragédie d’entre les morts ; seule une nouvelle conscience de l’humanité, une nouvelle connaissance de la gravité et de la sainteté de la vie peuvent ac complir ce miracle, cette conscience et cette connaissance naissent en nos jours sur la terre dans les idéaux socio-reli