210 ÇA IRA ! Il y a ceux qui habillent la poésie et ceux qui la deshabillent de ses délicates fictions. Les poètes qui sont attachés à la perfection de la forme nous émeuvent par la distinction de leur effort. De Ronsard à Moréas, par André Chénier, ils se passent le flambeau de la beauté antique. Mais l’élan de sincérité qui va de Villon à Verlaine est issu de senti ments plus profondément humains et avec eux il nous est possible de péné trer au cœur de la poésie moderne. * * % L’avènement du symbolisme date à peu près d’un demi-siècle. Vers cette époque Tristan Corbière, le falot poète marin lançait à l’auteur d’Océano Nox la fameuse apostrophe : Eh bien tous ces marins, matelots, capitaines, Dans leur grand Océan à jamais engloutis, Partis insoucieux pour leurs courses lointaines, Sont morts-absolument comme ils étaient partis. ....Qu’ils roulent infinis dans les espaces vierges !... Qu’ils roulent verts et nus, Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierge, Laissez les donc rouler, terriers parvenus ! Verlaine tira Tristan Corbière de l’oubli en le classant en tête de ses poètes maudits. Les poètes maudits sont ceux qui ont le mieux perpétué le rôle sybillin attribué aux poètes. Rimbaud est parmi ceux-là. Rimbaud, le plus indiscipliné et le plus absolument ori ginal des poètes, ouvre incontestable ment la voie à toute la jeune littérature. Ce jeune homme rebelle à toutes con- verentions, obsédé par les abstractions symbolistes veut tout exprimer et renonce à dix-huit ans à la carrière des lettres. Il devient explorateur. Laforgue aussi occupe une place prépondérante dans les origines de la poésie actuelle. Il est demeuré dans le domaine transcendant de la pure sensi bilité. C’est un poète métaphysique doublé d’un poignant ironiste. Il révèle des sensations neuves. Il jette sur les misères du monde un coup d’œil exempt d’illusions et conclut que le monde doit redevenir plasma. Le “Redevenez plasma,, de Laforgue enveloppe la volonté créatrice de notre généra tion. Lautréamont jouit aussi d’une grande faveur parmi les jeunes. Il pousse le pessimisme jusqu’à rompre avec l’huma nité. Il ne se complaît plus guère qu’aux images sadiques qui traversent son imagination. Il découvre les bienfaits de l’immoralité tant il a soif de se dégager de l’hypocrisie. Tous ces poètes ont assimilé l’époque de malaise à laquelle ils ont vécu. La plupart ont été des détraqués des mala des ou des voyous. C’est peut-être un effet de leur profonde réceptivité. Ils ont promené à travers leur temps une lassitude exaspérée. Ils se sont senti isolés dans un monde où nulle situation n’était faite à la nudité de leurs senti ments. Aujourd’hui leur cruelle sincérité est bien près de triompher de l’optimisme béat des poètes de salon. Nous avons appris à vivre dans le présent. Nous concevons autrement des vertus en donnant aux vices le caractère humain qu’ils comportent. Le principe négatif du mal nous apparait comme une néces sité. Les valeurs morales comme toutes les autres valeurs ne sont plus des valeurs sûres, et une sainte franchise peut seul régénérer les mœurs de notre siècle. Aussi est-ce dans l’intérêt vital