ÇA IRA ! 211 de l’art de se dégager de son caractère unilatéral. Après une tragédie de Corneille, le spectateur en reprenant contact avec son millieu s’écrie : “Le monde est taré,,. De même qu’après une tragédie de Racine on s’écrie : “L’amour n’existe plus,,. Cette erreur constitue un danger. Notre époque n’est pas dépourvue de lyrisme. La tare du monde est originelle et l’amour n’existe que par la misère inhérente à notre condition d’homme. La poésie doit s’identifier à la vie en renonçant aux principes caducs de la vieille morale : l’honneur bête et la fausse pudeur. La grandeur humaine est éparse jusque dans les cœurs les plus obscurs, et la parcelle d’amour qui vibre au fond d’une petite prostituée est -aussi digne d'intérêt que Titus et Bérénice se disant adieu pendant cinq actes. Tout est sujet de poésie. Les poètes veulent éteindre le présent. Ce qu’ils en disent n’est pas en vue d’atteindre une postérité illusoire. Le “culte des grands hommes,, est une taciturne facétie. Ils veulent vivre, dans leur temps —■ selon les besoins, les joies et les intérêts du moment. Foin des “ arts de la paix „ qui résultent de laborieuses parturi- tions cérébrales. Le poète se livre à l’élan prime-sautier de sa plume et à la vision simultanée de toutes les, choses qui frappent sa sensualité, son intelli gence et sa mémoire. C'est un art purement intégral et comme qui dirait synoptique. Le poète devant sa table ne se sentira plus “comme dit Musset,, “tel un enfant sous ses habits de fête,,. Il rira comme un moteur d’avion et ne craindra pas de se salir aux flaques de la route. La vie est plate mais il y a d’ardents plaisirs pour racheter la platitude de la vie. Le vertige des idées chasse la mélancolie comme la sensation de la vitesse. Les poètes créent des joies nouvelles et leur santé morale s’en est accrue. Un jour un loustic de mes amis avait sous l’action de quelques bocks parodié ainsi un vers célèbre. “Les plus déses pérés sont les chants les plus faux, et j’en sais d’immortels qui sont de purs bateaux.,, Tous nous nous étions récriés car qui de nous n’a pensé un jour se découvrir dans les poésies de Musset. Mais combien nombreux sont les poètes pour qui jadis nous nous sommes exaltés et qui nous laissent froids aujourd’hui. Car le rôle du poète s’est singulièrement étendu ; la poésie ne connait plus de bornes. Toutes les tentatives antérieures sont mises à con tribution. Les poètes ont fait le tour de toutes les idées. Ils ne sont plus les serviteurs d’un art hautain comme autrefois Vigne ou Mallarmé. Ils ne cherchent plus comme René Ghil une poésie scientifique. Ils ne veulent pas “dire du mieux,,. Ils veulent tout dire sans se plier à aucune discipline, et jamais la réalité de la poésie ne s’est affirmée davantage.. Nous n’avons pas concerté le dessein de juger les poètes, nous laissons cela à de plus autorisés, mais nous voulons simplement les signaler. Notre époque est féconde en tendances séditieuses. Comment ranger les poètes ? Il y en a dont les œuvres infligent de la stupeur ; il y en a qui combattent l'atonie psy chologique et on pourrait comme en thérapentique les diviser en stupéfiants et en tétanisants.