212 ÇA IRA ! Pourtant la poésie conserve des thèmes éternels. Nous examinerons dans ses grandes lignes l'état du senti ment profane et religieux dans le trouble de l’heure présente. Aboutissons : La poésie en reflétant l’instabileté du monde moderne, veut atteindre au moi intégral. Elle devient de ce fait collective parce qu’elle est liée étroitement aux évènements poli tiques qui agitent les masses. Les poètes interrogent l’avenir et il n'y a pas de doute que les énergies futures nous viendront de la confusion russe plutôt que de la suffisance fran çaise. Il est impossible de restaurer l’idéal ancien — les poètes se sont libérés de toutes les entraves et sont décidés à secouer la malédiction qui pèsent sur eux. Ils dansent follement sur les ruines de l’idéal ancien pour y subitituer l’esprit nouveau. La poésie actuelle se plaît aux brèves notations et a rompu avec toute espèce de réttrorique. Rédiger signifie réduire. Jamais la poésie n’a cependant été aussi expansive. Elle demeure supérieure à la prose non plus parce qu'elle constitue un travail plus savant. Mais au con traire parce que la prose est encore sujette à quelque élaboration, tandis que la poésie s’abandonne à tous les sur sauts du hasard. Elle fuit toute pose. C’est une poésie proprement instan- tanéïste. Elle répond à l’angoisse philoso phique de l’heure actuelle par la fulguration des idées et des couleurs, par l’explosion des sens et des sons. La terre est pleine de richesses qui se renouvellent perpétuellement et le poè me veut s’appropier ces énergies tellu riques. Les poètes, en suivant ainsi leur instinct, ont l’air de gaspiller leur talent, mais au fond ils l’exploitent plus largement que jamais. La poésie cesse d’être extra-humaine, elle évolue entre le nihilisme et le panthéisme et se porte indistinctement sur toutes choses. Les poètes entraînent la poésie par les pires dissociations d ’ idées jusque dans le plasma de l’incompréhension univer selle. Une sincérité daigue est la seule arme qu’ils possèdent. Ils ont foi dans le coup de dés des mots et réduisent le langage jusqu’à l’onomatopée. Ils renon cent à tout patrimoine intellectuel afin d'arriver à une possession plus com plète du monde. C’est cet état d’esprit qui fait dire à André Salmon : Le plomb des imprimeries s’écoule comme un fleuve, pour fondre l’alphabet des humanités neuves. à Guillaume Apollinaire : Mais riez, riez de moi Hommes de partout et surtout gens d’ici, Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire, Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire, Ayez pitié de moi. à Biaise Cendrars : “La poésie date d’aujourd’hui.,, et à Jules Romains qui, après avoir dans „La Vie Unanime,, cédé à de chères illusions, s’écrie dans “Europe,, son dernier livre des poèmes : Nous avons cru en trop de choses, Nous les hommes de peu de foi. PAUL NEUHUYS. % ifi ’ i ■- y-'O': (a suivre).