ÇA IRA ! 217 Mais le jour où la révélation de l’amour supérieur les atteint tous deux, pénétrant jusqu'à l’être essentiel, ih ont le même geste. Dès que ce sentiment qu’ils croyaient connaître leur est donné, tout le reste ne leur est plus rien. Et si ce reste vient à leur manquer, à peine s’en aperçoivent-ils, sauf pour se féli citer de ce qu’enfin ils peuvent se réserver tout entiers à la passion. Et plus rien n’égale pour eux, en douceur et en beauté morale, ces jours qu’ils passent isolés du monde, Sorel enfermé à Besançon, et Fabrice dans la tour Farnèse. —■ Ces deux scènes culminantes exciteront toujours la fer veur. Le souvenir qui nous en restera, ■— nul, les ayant comprises, n’oublie ces pages — alimentera nos rêveries. J’entends, de ces rêveries louables et fécondes, d’esprits actifs, et qui ne sont que des regroupements intellectuels pré paratoires à l’action. — Cela fait qu’on réfléchit et qu’on s’examine. On se trouve bien médiocre, comparé à ces caractères d’essentielle aristocratie morale, et l’on ne refait la paix avec soi-même qu’après s’être juré de se grandir d’autant. Je ne retrouverai peut-être plus jamais l’exaltation dont je fus possédé, lors de mon premier contact avec “Le Rouge et le Noir,,. C’était en Août, et pendant les vacances. Je m’enfonçais en forêt, venant de lire quelque substanciel cha pitre, et les idées m’assiégeaient. Au hasard des chemins sous bois, j’allais, saisi de la fièvre de penser, et le bruit de mes pas accompagnait seul le travail de mon esprit autour de ces pages. Et j’étais, par moments, comme hors de moi.... Comment n’être pas, au sortir des romans de Stendhal, tout au goût de l’action, de la maîtrise de soi, de la culture du caractère, alors que le tête- à-tête avec ses personnages nous favorise de quelque familiarité avec des êtres supérieurs ? La duchesse Sanse- verina, Julien Sorel, le comte Mosca ou Fabrice del Dongo sont, chacun, l’idéal en leur catégorie. Est-ce là dire que Stendhal est un idéaliste ? J’estime qu’il est au contraire réaliste autant que personne. Au sens supérieur du terme, il l’est, si toutefois le réalisme emporte ce que je crois : non seulement la présentation exacte des côtés de la vie, médiocres et vul gaires, mais aussi de toute la réalité belle ou laide, exaltante ou vile, d’ex ception ou quotidienne. Reconstituer à la perfection et avec clarté un être d’élite n’est pas plus chimérique que présenter clairement et parfaitement un être commun. Et, précisément Stendhal avait ce don de peindre, parmi des personnages de second plan, et quel conques, des portraits de caractères supérieurs. Il s’en explique lui-même lorsqu’il écrit : “Tous les faits qui for ment la vie d’un bourgois de Molière, Chrysale par exemple, sont remplacés chez moi par du romanesque. Je crois que cette tache dans mon télescope a été utile pour mes personnages de romans. Il y a une sorte de bassesse bourgeoise qu’ils ne peuvent avoir....,, Et c’est ce qui leur permet d’être des exemples, des types achevés résumant l’état d’une civilisation. Ils sont complets ; pareils en cela à leur créateur, ils joignent au goût de l’action, celui de s’analyser agissants.