222 ÇA IRA ! NOTULES Les Livres P. J. JOUVE : Romain Rolland vivant. (Librairie Ollendorff.) " Une grande figure d’homme est un mer- veil eux poème, - le poème des poèmes,,. Dans Romain Rolland vivant, le plus pénétrant et le plus aimant des poètes informe, pour notre joie, la plus magnifique et généreuse des matières : l’évolution d’une intelligence riche et inquiète, son unité toujours risquée aux conquêtes et aux compréhensions nouvelles, toujours héroïquement reconstruite. Pour plusieurs ce livre sera, si moderne, un doux et ferme évangile ; il conte d’un homme qui ne dit jamais : Moi seul suis la, voie, la vérité et la vie ; mais qui s’applique à rester toujours une sincérité, une ardeur et un chemin vers les sommets. “Il ne faudra donc point demander à mon ouvrage la science critique, /’impassibilité et la sèche certitude que les fiches donnent à nos historiens. Je me moque bien de tout cela. Mais il faudra lui demander la vie, et il faudra qu’il la donne : la vie Complexe et sans déguisement, sans simplification, sans ittérature ornemen tale, avec ses énigmes et ses troubles.,, Pascal dit que “la vraie éloquence se moque de l’éloquence,,. Ici la vraie science critique se moque de la "banale et décevante “science critique,,, de son pédantesque appareil, de ses vastes échaffaudages pour construire une bran lante et ridicule bicoque. Jouve apporte “devant l’importance du sujet, un continuel souci d’analyse approfondie et de vraie con naissance,,. Souci toujours victorieux, me semble-t-il, et satisfait, grâce à “l’amour pour ce grand esprit vivant et qui éclaire notre temps, un amour désintéressé qui ne se propose pas d’annexer à soi, mais seulement de com prendre et d’honorer.,, Dans quelque esprit qu’on aborde ce poème d’une pensée vivante et d’un vivant amour, la lecture sera toujours, à des degrés divers, émouvante et utile. Qui lira froidement et pour s’informer apprendra ici plus qu’autre part : pour la connaissance et la calme psychologie, une vie héroïque est dix fois plus riche que les basses aventures où les natura listes croyaient rencontrer la seule vérité. Le choix de Jouve contant Romain Rolland est aussi heureux que les choix de Romain Rolland disant son frère Tolstoï, ou Beethoven, ou Michel Auge. Mais, à lire avec amour, ah ! quelle moisson abondante on récoltera. Ce n’est pas seulement enrichi, c’est fortifié et affermi qu’on sort de ce noble livre. Quoi de plus charmant, de plus pénétrant, de plus rassénérant aussi que cette longue et confiante causerie avec deux hommes qui peuvent parler par expérience des profon deurs humaines, parler par expérience des sommets humains. Grâce aux nombreuses citations de conversations familières et de lettres personnelles, nous n’entendons pas seulement Jouve parler de Romain Rolland ; nous entendons Romain Rolland, comme un Montaigne héroïque, nous parler de lui-même. Il nous dit ses inquiétudes devant tous les problèmes ; il nous dit de quelle façon et dans quelle mesure il a triomphé des inquiétudes et résolu les problèmes. Même dans ses ouvrages les plus soignés, on ne lit jamais Romain Rolland comme on écoute un virtuose. C’est lui qu’on aime et qu’on admire dans son oeuvre. Cette oeuvre puissante et profonde nous émeut précisément de se manifester “imparfaite et qui ne se soucie pas de perfection formelle,,. A âprement se vouloir bienfaisante, elle sacrifie la grâce ou l’éclat à la pensée, elle sacrifie parfois la pensée