Note. — Ce manifeste a été lu par Tristan Tzara le 23 Juillet à la Meise (Zurich). — Le Dadaïsme. Pour introduire l’idée de folie passagère en mal de scandale et de publicité d’un „isme“ nouveau — si banal, avec le manque de sérieux inné à ces sortes de manifestations, les journalistes nommèrent Dadaïsme ce que l’intensité d’un art nouveau leur rendit impossible compréhension et puissance de s’élever à l’abstraction, la magie d’une parole (DADA), les ayant mis, (par sa simplicité de ne rien signifier), veaux devant la porte d’un monde présent; vraiment trop forte éruption pour leur habitude de se tirer facilement d’affaire. Pour lancer un manifeste, il faut vouloir A.B.C. foudroyer contre 1.2.3. s’énerver et aiguiser les ailes pour conquérir et ré pendre de petits et de grands a. b. c. signer, crier, jurer, arranger la prose sous une forme d’évidence absolue, irréfutable, prouver son nonplus- ultra et soutenir que la nouveauté ressemble à la vie comme la dernière apparition d’une cocotte prouve l’essentiel de Dieu. Son existance fut déjà prouvée par l’acordéon, le paysage et la parole douce. f§ imposer son A.B.C. est une chose naturelle, — donc regrettable. Tout le monde le fait sous forme de cristalbluffmadone, système monétaire, produit pharmaceutique, jambe nue conviant au printemps ardent et stérile. L’amour de la nouveauté est la croix sympathique, fait preuve d’un jem’enfoutisme naïf, signe sans cause, passager, positif. Mais ce besoin est aussi vieilli. En documentant l’art avec la suprême simplicité : nouveauté, on est humain et vrai pour l’amusement, impulsif vibrant pour crucifier 1 ennui. Au carrefour des lumières, alerte, attentif en guettant les années, dans la forêt, fg J’écris un manifeste et je ne veux rien, je dis pourtant certaines choses, et je suis par principe contre les manifestes, comme je suis aussi contre les principes (décilitres pour la valeur morale de toute phrase — trop de commodité ; l’aproximation fut inventée par les impressionnistes.) j§ J’écris ce manifeste pour montrer qu’on peut faire les actions opposées ensemble, dans une seule fraîche respiration ; je suis contre l’action ; pour la continuelle contradiction pour l’affirmation aussi, je ne suis ni pour ni contre et je n’explique car je hais le bon-sens. DADA — voilà un mot qui mène les idées à la chasse; chaque bourgeois est un petit dramaturge, invente des propos différents, au lieu de placer les personnages convenables à la qualité de son intelligence, chrysalides sur les chaises, cherche les causes ou les buts (suivant la méthode psycho-analytique qu’il pratique) pour cimenter son intrigue, histoire qui parle et se définit. || Chaque spectateur est un intriguant, s’il cherche à expliquer un mot: (connaître!) Du réfuge ouaté des complications serpentines il laisse manipuler ses instincts. De là les malheurs de la vie conjugale. Expliquer: Amusement des ventrerouges aux moulins de crânes vides. PT Dada ne signifie rien. Si l’on trouve futile et l’on ne perd son temps pour un mot qui ne signifie rien. . . . La première pensée qui tourne dans ces têtes est d’ordre bactéorologique : trouver son origine étimolo- gique, historique ou psychologique, au moins. On apprend dans les journaux que les nègres Krou appellent la queue d’une vache sainte : DADA. Le cube et la mère en une certaine contrée d’Italie: DADA. Un cheval en bois, la nourrice, double affirmation en russe et en roumain : DADA. Des savants journalistes y voient un art pour les bébés, d’autres saints jésusappellantlespetitsenfants du jour, le retour à un primitivisme sec et bruyant, bruyant et monotone, fj On ne construit sur un mot la sensibilité; toute construction converge à la perfection qui ennuie, idée stagnante d’un marécage doré, relatif produit humain. L’œuvre d’art ne doit pas être la beauté en elle-même, car elle est morte ; ni gaie ni triste, ni claire ni obscure, réjouir ou maltraiter les individualités en leur servant les gâteaux des auréoles saintes ou les sueurs d’une course cambré à travers les atmosphères. Une œuvre d’art n’est jamais belle, par decret, objec tivement, pour tous. La critique est donc inutile, elle n'existe que subjectivement, pour chacun, et sans le moindre caractère de généralité. Croit-on avoir trouvé la base psychique commune à toute l’humanité ? L’essai de Jesus et la b.bie couvrent sous leurs ailes larges et bien-veillantes: la merde, les bêtes, ies journées. Comment veut-on ordonner le chaos qui constitue cette infinie informe variation : l’homme? Le principe: „aime ton prochain“ est une hypocrisie. „Connais-toi“ est une utopie, mais plus acceptable, contient la méchanceté aussi. Pas de pitié. Il nous reste après le carnage, l’espoir d’une humanité purifiée. Je parle toujours de moi puisque je ne veux convaincre, je n’ai pas le droit d’entraîner d’autres dans mon fleuve, je n’oblige personne à me suivre et tout le monde fait son art à sa façon, s’il connaît ia joie montant en flèches vers les couches astrales, ou celle qui descend dans les mines aux fleurs de cadavres et de spasmes fertiles. Stalactytes : les chercher partout, dans les crèches agrandis par la douleur, les yeux blancs comme les lièvres des anges. |j Ainsi naquit DADA*) d’un besoin d’indépendance, de méfiance envers la communauté. Ceux qui appartiennent à nous gardent leur liberté. Nous ne reconnaissons aucune théorie. Nous avons assez des académies cubistes et futuristes : laboratoires d’idées formelles. Fait-on l’art pour gagner l’argent et caresser les gentils bourgeois? Les rimes sonnent l’assonance des monnaies et l’inflexion glisse le long de la ligne du ventre en profil. Tous les groupements d’artistes ont abouti à cette banque en chevauchant sur de diverses comètes. La porte ouverte aux possibilités de se vautrer dans les coussins et la nourriture. Ici nous jettons l’ancre, dans la terre grasse. Ici nous avons le droit de proclamer, car nous avons connu les frissons et l’éveil. Revenants ivres d’énergie nous enfonçons le triton dans la chair insoucieuse. Nous sommes ruissellements de malédictions en abondance tropique de végétations vertigineuses, gomme et pluie est notre sueur, nous saignons et brûlons la soif, notre sang est vigueur. Le cubisme naquit de la simple façon de regarder l’objet : Cézanne peignait une tasse 20 centimètres plus bas que ses yeux, les cubistes la regardent tout d’en haut; d’autres compliquent l’apparence en faisant une section perpendiculaire et en l’arrangeant sagement à côté. (Je n’oublie pourtant les créateurs, ni les grandes raisons et la matière qu’ils rendirent définitive). || Le futuriste voit la même tasse en mou vement, succession d’objets un à côté de l’autre et a j° u te^ malicieusement quelques lignes - forces. Cela n’empêche que la toile soit une bonne ou mauvaise peinture déstinée au placement des capitaux intellectuels. Le peintre nouveau crée un monde, dont les éléments sont aussi les moyens, une œuvre sobre et définie, sans argument.- L’artiste nouveau proteste: il ne peint plus /reproduction symbolique et illusionniste/ mais crée directement en pierre, bois, fer, étain, des rocs des organismeslocomotives pouvant être tournés de tous les côtés par le vent limpide de la sensation momen tanée. f§Toute œuvre picturale ou plastique est inutile; ) en 1916 dans le CABARET VOLTAIRE à Zurich.