15 — LA RUE RAVIGNAN Importuner mon Fils à Vheure où tout repose Pour contempler un mal dont toi-même souris? L'incendie est comme une rose Ouverte sur la queue d'un paon gris. Je vous dois tout, mes douleurs et mes joies... J'ai tant pleuré pour être pardonné! Cassez le tourniquet où je suis mis en cagel Adieu, barreaux, nous partons vers le Nil; Nous profitons d'un Sultan en voyage Et des villas bâties avec du fil L'orange et le citron tapisseraient la trame El les galériens ont des turbans au front. Je suis mourant, mon souffle est sur les cimes! Des émigrants j'écoute les chansons Port de Marseille, ohé! la jolie ville, Les jolies filles et les beaux amoureux! Chacun ici est chaussé d'espadrilles : La Tour de Pise et les marchands d'oignons. Je le regrette, ô ma rue Ravignan! De tes hauteurs qu'on appelle antipodes Sur les pipeaux m'ont enseigné l'amour Douces bergères el leurs riches atours Venues ici pour nous montrer les modes. L'une était folle; elle avait une bique Avec des fleurs à ses cornes de Pan; L'autre pour les refrains de nos fêles bachiques La vague et pure voix qu'eût rêvée Malibran. L'impasse de Guelma a ses corrégidors Et la rue Caulaincouri ses marchands de tableaux Mais la rue Ravignan est celle que j'adore Pour les cœurs enlacés de mes porte-drapeaux. Là, taillant mes dessins dans les perles que j'aime, Mes défauts les plus grands furent ceux de mes poèmes. MAX JACOB.