10 — LES OTARIES — Dis-donc, Félix, on ne s’est pas embêté hier soir, hein ? Pour notre argent, nous en avons eu pour notre argent. Et qu’est-ce qu’on s’est mis comme alcool ! Il faut raconter ça à Léon. Garçon, trois Chambéry fraise ! On a été avec Mme Félix et la gosse au « Traditionnal Cire ». Dis-donc, c’est bien le moins, hein ! il y a assez long temps qu’on turbine, quelque chose comme 40.000 ans, quoi ! Et puis c’était le jour qui voulait ça ! C’est pas tous les jours qu’on fête la Victoire. — Laquelle c’était de Victoire ? — La victoire sur les otaries. — Un peuple, mon vieux, bondé. Des gens bien. On amène sa légitime et son môme. — Et puis une musique, de quoi le boucher le pavillon. Tu n’a pas vu ça. C’est des nègres qui jouent avec leurs quatre abatis. Ils font un bruit, ils vous en mettent plein la vue. — Ah ! — Y a d’abord eu des canassons, pas mal, et puis des clounes, idiots si tu veux, mais moi je me tords quand je vois un type faire l’idiot. Ça repose, pas vrai, on peut pas toujours lire le journal. Mais alors, mon vieux, quand l’Américain a amené les otaries. Ah les vaches ! c’est alors qu’on a commencé à jouir du spectacle. On se sentait vivre. Non, mais sont- elles moches ! Tu dirais des femmes qui ont le derrière pris dans un édredon. Des sacs à charbon en vadrouille. Des gonzesses qui font les belles entravées. Des zouaves en deuil qui ont du chagrin et qui. perdent leur culotte. Du cirage qui fond au soleil et qui grouille comme un fromage. Ou un mutilé de la guerre qui traîne son cul et qui la ramène.