30 Mais la guerre est finie, la démobilisation aussi. Nous voyons revenir des armées des musiciens, des « jeunes », qui viennent grossir le « petit groupe » : tous ceux qui n’ont encore rien ou presque rien fait jouer, surpris par la guerre en plein travail, et qu’on ne voyait à Paris que pendant leurs brèves permissions. Parmi ces « nouveaux jeunes », Henri Cliquet nous appor tera de nombreuses premières auditions. Cliquet travaillait au Conservatoire. La guerre interrompit ses études de contre point mais ne l’empêcha pas d’écrire et d’écrire beaucoup. On ne connaît de lui que son 1 er quatuor à cordes, donné à la S. M. I. en 1913 et une Toccata pour piano jouée dans une séance de musique moderne chez Poiret en 1916. Sa musique a la fraîcheur de celle de Mozart, mais d’un Mozart devenu Mowgli s’amusant et clapotant dans une flaque d’eau. Parfois on croit que Cliquet fait une farce, mais un accord, une mélodie viennent éclore, sensibles et comme venus du fond du cœur. La musique qu’il écrit en 1912 pour une des « Mora lités Légendaires » et pour « Trois complaintes » de Jules Laforgue est pleine de ce mélange de jeux d’enfant, de drô lerie, d’ironie et d’amertume. Avant la guerre, Cliquet écrit encore une « Suite » pour piano, une « Marche » pour orches tre, des mélodies sur des poèmes de Wilde, de Desbordes- Valmore et de Mme de Noailles. Mobilisé à l’hôpital de Ver sailles comme jardinier, Henri Cliquet se croit en vacances, son séjour à Versailles lui parait être son « prix de Rome » et il travaille : il écrit sa « l rc Sonate » pour piano et violon, ses « 2 e et 3 e quatuors à cordes », des « Variations » et une « Sonatine » pour piano. Puis il part avec l’armée améri caine. Les rag-times et les fox-trotts qu’il entendit le marquè rent : cette influence se fait sentir dans sa « 2 8 Sonate » pour piano et violon, sa « Rapsodie française » pour piano et orchestre, son « Improvisation en forme de Variations» pour piano écrites de 1917 à 1919 ainsi que dans ses plus récentes mélodies. Mais les Américains s’en vont. Henri Cliquet, ne vous attardez pas. Quand je prête l’oreille à leurs musiques, elles m’apparaissent si lointaines que déjà je ne les entends plus. DARIUS MILHAUD.