i. ■ S > * » CIVILISATION Il est avéré désormais que le plus pur moyen de témoigner de l’amour à son prochain est bien de le manger. Cela n’est nullement plus répugnant que de se nourrir de secrétions mal saines et puantes et de suintements équivoques ainsi que le font les hommes des époques qualifiées hautes. Voyez le petit vieux à barbe grasse : oh Verlaine! Et le gros blond au pantalon entrouvert. Oh César Franck! Il est vrai que les alcooliques ne reculent point de vant l’absorption du liquide conservateur de précieuses pièces anatomiques, sans souci du dommage causé à la Science. % Posséder par le cœur, ou posséder par l’estomac? Celui-ci est plus certain. Et puis, en cas de contre-ordre, il y a toujours la nausée. Nul égoïsme. Le plus fort mange le plus faible. Tu es admis à ma table, o mon agneau! T’amo, t’amo! Analogie avec l’amour des amants. La femelle (qui parfois est un homme) connaît par l’in térieur la pensée du mâle (qui parfois est une femme). Ainsi le mangé connaît par l’inté rieur— ce n’est pas ici le tube digestif — la substance du mangeur. Qui donc est vainqueur du jeu? Et sans doute il n’est pas d’émotion artistique semblable à celle qui étreint l’homme plat du jour, dès le commencement de la mastication. Les hideux amateurs de la sueur nocturne des poètes sont aussi des anthropophages; on pourrait leur être reconnaissant de débarrasser l’air d’une telle fétidité, si leur haleine ne s’en ressentait. Vraiment il ne faut manger ni du poète, ni du musicien, ni du peintre, ni d’aucun artiste, avant de l’avoir mis à dégorger. Encore leur viande doit-elle être molle et fade. Bonbons à l’essence de bananes, et pippermint, donnent à la fin mauvais estomac. Que dire d’un violoniste?—Es schmeckt, es schmeckt! — Gare le gros ventre! Donnez cela aux Chacals. Au moins quand le Sain mange son vieux père mort, ou un missionnaire anglican, c’est parce que la chair parle, et que la narine se dilate voluptueusement, comme à l’odeur de l’oi gnon qui roussit. Fatale soumission aux lois de la pesanteur. Surnagement de la tête dans les airs. Voilà 1 en trepôt constitué. Haut, Bas. Et lui, monte sur les marchandises, et toujours sa tête est plus haute. De la main gauche et de la main droite, il ne peut s’empêcher de peser le chant même des petits oiseaux. Pourtant ses cheveux que le vent emporte, finissent par reposer sur le Sol. Terre! Terre! A une telle altitude, il importe peu qu’il rêve de cervelles désaffectées, d’intestins dérou lés au mètre, de muscles et de graisse pulvérisés en rosée sur les gazons rouges. Ainsi en son sommeil, certes, joua-t-il au billard avec des yeux vitreux, et équilibra-t-il un œuf blanc sur le jet de sang jailli du cou qu’un obus priva de chef. Il ne peut encore conprendre pourquoi la tête si légère lorsqu’elle remorque le corps vers le ciel, est si lourde si le câble se rompt. y G. Ribemont-Dessaignes. -J