— — — 106 JEAN EPSTEIN qu’il est bien plus juste de les qualifier d’accidents de la matière et de l’étendue dans lesquelles les choses s’accomplissent ». Albert Einstein a mis le temps à la mode ; ou bien le temps, Einstein. Et le relativisme n’a fait qu’embrouiller davantage une question prêtant déjà naturellement aux confusions. Ci-dessus : Il n’y a pas de temps en soi, dit Lucrèce. Cela est faux ou vrai, selon qu’on se place. Le temps en soi n’existe pas, non plus que rien, et même cette inexistence essentielle paraît plus probable, que pour n’importe quoi, pour le temps. Car si on suppose assez facilement, quoique sans précision, une matière et un espace en eux et hors de nous, un temps extérieur à l’homme ne se conçoit guère. Seul le présent existe ; par définition du présent ; et le passé, seulement en fonction de ce pré sent, parce qu’il a été présent une fois et qu’il peut le redevenir une fois nouvelle ; de même l’avenir, parce que et s’il devient présent. Or, le pré sent n’est pas du temps. Entre le passé et le futur, il est un joint prison nier entre eux, mais dont ils sont tous les deux exclus. Le présent est, au milieu du temps, une exception au temps. La preuve en est qu’il échappe au chronomètre ; les mesures du temps sont inaptes à le saisir, ombre qui s’écoule impunément à travers nos pièges à minutes. Vous regardez votre montre ; le présent à strictement parler n’y est déjà plus ; et, à tout aussi strictement parler, il y est encore, de nouveau, il y sera toujours d’un minuit à l’autre. Je pense, donc j’étais. Le je futur éclate en je passé ; le présent n’est que cette mue prestidigitatrice, instantanée et incessante. Le présent n’est qu’une rencontre, une coïncidence, une intersection, point continu, instant illimité, éclair durable. Mais il y a un temps psychologique, temps en nous, notre temps. Et il n’est point si sûr, quoi que Lucrèce veuille nous faire croire, que personne n’ait notion du temps considéré en dehors des mouvements exté rieurs, s’il s’agit de ce temps-là. Tous les sentiments existent, au moins à l’état de prédisposition, mais le plus souvent bien mûris, en dehors et indé pendamment des objets auxquels tout à l’heure ces sentiments paraîtront associés ; et antérieurement à ces objets qui paraîtront susciter les senti ments. L’objet n’est qu’occasion et agent révélateur, mais non créateur du