MOGrAJSTNI NAMEH 119 III C’était Pâques. Il ne pouvait travailler. Une semaine de jours fériés. Le magasin était fermé, toutes ses gens à la maison. Alors, il sortait. En Russie, plus qu’ailleurs, la foule de la rue est vivante. C’est le seul pays où l’on puisse encore voir la vaste foule chré tienne, la foule sombre, taciturne, qui grouille au fond de nos légendes, qui bruit entre les feuillets des vieux bouquins du moyen-âge, qui les vivifie comme une mer ivre. Ces paysans en peau de mouton, ces soldats en esclavine, toute cette vie fourmillante des petites gens sales et loqueteux, les alcools, les brandons des passions, l’ivresse de la foi, parfois les névroses hallu cinées et mystiques presque, la tristesse, la mélancolie et cette résigna tion du (( nou ladno » asiatique, tout ceci et tout cela, ces corps noueux, ces visages ravagés, la bonhomie, cette langue douce, enfantine, vigou reuse et imagée autant que le vieux français, faite de proverbes justes, de jurons crus, de chansons naïves, la terreur, et jusqu’au juif maigre qui passe courbé, enveloppé dans son long caftan, et jusqu’à la force de la police, brutale en son insolence, est bien ce qui bout et se remue, ondoie lourdement et fuse parfois en de rudes chocs, ruts, sang et larmes chez nos vieux chroniqueurs. Théophile Gautier, en quelques nobles passages de son admirable (( Voyage en Russie » a fixé plastiquement quelques aspects extérieurs de ce peuple si lointain : la rue, les petits marchands, les chevaux. C’est