122 BLAISE CENDRARS penché, dans l’ombre, le cliquetis d’une brisure, le brusque éclat d’une mi-cassure, l’avait blessé comme un sourire et il était tombé, lourdement, à genoux. Puis, avec un mauvais frisson, il avait allumé une pauvre petite chandelle d’un copek, et durant la lente agonie de la mèche, dans sa vacillante lumière il avait contemplé sous la camaille d’or une tête de femme. D’un capuchon noir, un blanc serre-tête sortait et dessinait, d’une ligne tranchante, le contour net du visage maigre, défait, aux os saillants, aux joues creuses. Cette face était jaune, mais d’un jaune safran, d’un jaune fou, désordonné, avec des transparences de cauchemar. Et dans ce jaune, comme un trou, une large bouche, violette, et, fortement sourcillés de kohol, deux grands yeux démesurés, irréels, fixes. L’accord était étrange entre ces yeux miroitant d’orfroi, aigus comme des cristaux et ces lèvres contournées, cruelles, violettes, molles, brûlantes autant que des tronçons de serpent. C’était une face d’incertitude et d’effroi : l’Epouvante. Quel moine halluciné l’avait conçue cette Mère Céleste, car c’était bien une Mère de Dieu, mais celle qui a assisté à la torture de son fils et qui ne peut oublier cette vision d’agonie. Elle se dresse, immense, au haut du Calvaire ; en cadre, en élevant les bras, de son lourd manteau noir, le supplicié, et les ténè bres ardentes s’abattent sur le monde. Ce n’est plus le sang de la Croix, c’est le sang des menstrues qui descend du Golgotha, raidit ses robes et coule en larges fleuves dans les plaines. La malaria s’élève, les fièvres s’allument, les névroses flamboient. Toutes les hallucinations et toutes les hérésies s’illuminent à son regard meurtri et ses deux yeux de deuil, comme des soleils rongés de crépuscules, ne descendent plus de l’horizon des temps. De ses lèvres, quand elle les entr’ouvre pour répondre aux brûlantes litanies des humains, tombent, ancolies, ténébreuses, mandra gores, les luxures, les poisons et les opiums. Brusquement, le cierge ne brûlait plus. Les yeux de la madone s’éteignaient avec un cri sauvage, ses lèvres empestées saignaient comme un regard, et il restait là, désorienté, dans les ténèbres. La dalle, sur laquelle il était agenouillé s’ouvrait comme une trappe. Il entendait dans les souterrains le silence des tombeaux. Un lys pâle sourdait jusqu’à la