]34 JEAN COCTEAU feuilles libres PHOTOGRAPHIÉ LETTRE OUVERTE à M. MAN RAY, photographe américain. Mon cher Man Ray Vous savez mon dégoût du moderne, dégoût partagé par notre ami Tzara lequel représente, pour tant de naïfs, Le poète moderne, c'est-à- dire la dernière mode. Ce dégoût du "moderne'', du “progrès” n'impli que pas l'amour de l'éternel qui, hélas, me semble difficile à comprendre. J’aime une œuvre qui me séduise à la minute, qui m'intrigue, qui me débande les yeux. Les quatre vingts planches photographiques, véri table album des Caprices, que vous m'avez fait l'honneur de m’apporter un matin, présentent cet avantage que leur séduction s'impose à toute personne digne de sentir. Je craignais, après Picasso, d'être privé de spectacles. Je vous en dois un. Je dirais une joie exquise, si le public connaissait le sens terrible de ce terme que les neurologues emploient pour exprimer qu'une douleur, “la douleur exquise ”, est à sa limite inconnue et qu'elle échappe à leur contrôle. Je me refuse à croire aux formules imbéciles telles que : Le mieux est l'ennemi du bien. Formule française par excellence. Traduire : Si je place mes quatre francs pour en avoir cinq je risque de les perdre. Cet adage augmente chez nous le prestige des ébauches. Je viens d'être malade. Or on me soignait aux rayons X. Les rayons X, c’est le diable. Ai-je entendu : “ Si j’étaié voué, je me bornerais a deux ééanceé. Puisque voué obtenez un rééultat, pourquoi riéquer de Le compromettre? ''. Je retourne à vos épreuves et je songe, malgré leur perfection, à la perche qu'elles tendent, si on envisage demain, et à la chambre noire que vous venez d’ouvrir sur des trésors, entre autres cinématographiques. Depuis Picasso, je suivais curieusement, tristement des recherches