LA NOUVELLE 137 restituent ce qu’il est convenu d'appeler "le visage et l’âme d'un pays ” avec la vision émasculée d'un objectif Kodak. L'aventure de Biaise Cendrars déplace autrement d’air. Le poète de Du TJTonàe Entier est un voyageur aussi, mais qui ne voit pas forcément blanc à Tobolsk et vert en Ecosse. Sa montre marque mira culeusement l'heure de tous les cadrans. Il a, partout, l'œil indigène. Ce qui fait que cette nostalgie nomade qui l'emporte à travers le Monde n'est, dans son œuvre, entachée d'aucun bariolage local. xr M. Paul Morand, lui, a ce flair du regard, cette intuition féroce qui font que devant la multitude des choses offertes à lui comme autant de poings fermés dont un seul détient la monnaie rare, il tombe incon tinent sur celui-là. D’autres tâtonnent, font s’ouvrir des mains vides, diluent leur récit en de stériles approximations.. Paul Morand atteint l'œuf, même lorsqu’il danse sur le jet d'eau. La mobilité des apparences ne le déroute point, comme l'atteste tout le début de La Nuit Turque. C’est un tireur hors-ligne. Oui, mais l'auteur de Tendres Stocks, diplomate professionnel, cultive une ironie glacée, de fausses turpitudes, un ennui fébrile et des démangeaisons sentimentales dans l’ampleur moelleuse de sa pelisse internationale. Cette contradiction surprend comme une pièce qui, pile, serait un Napoléon lauré et, face, une République. La connivence d'un œil rapide et neuf et d’un esprit rompu aux plus périlleuses voltiges, obli téré par toutes les violences de la morale étrangère, se prête néanmoins pertinemment à la peinture d'une époque stérile, prodigue, vorace et dé saxée. Devant les ardeurs mystiques d’une Espagnole anarchiste, devant le terrorisme sournois de la Hongrie révoltée, devant la détresse russe, la candeur nordique, Paul Morand découvre un jeu de réflexes et d'images, une richesse de réactions sensibles que la philosophie du cynisme et l'absence de partis-pris sauvegardent des complaisances de l'émotion et du lyrisme, fausse monnaie. Entendons-nous. Le pathétique de tels tableaux — celui, entre autres, qui nous retrace la vie d’un prince russe à Constantinople — vient précisément de ce qu'il n'en donne que le " négatif”. Rien n’est plus risible que certain sérieux.