artistique. Il en est ainsi de toutes les influences. Plusieurs générations d’artistes, de poètes, de penseurs ignorèrent l’art gothique, avant qu’il devînt une source d’inspiration, un levier essentiel du romantisme naissant. On ne voit qu’avec les yeux l’âme. On ne voit que ce qu’on veut voir. Les contemporains de Clouet, de Goujon, de Poussin, de Watteau, de Boucher connaissaient l’existence des cathé drales de Paris >et de Chartres, de Reims et de Toulouse. M ais ces architectures leur étaient lettre morte. Il est probable que les graveurs sur bois de Hokoussài eurent laissé indifférents des peintres comme Corot, Courbet et Delacroix. Une influence n’agit que lorsqu’elle trouve un terrain favorable. Il faut mettre fin à la légende de grands courants d’idées qui traversent l’univers et qui laissent leurs empreintes par tout où ils accèdent. L’historien viennois Aloïs Riegl a démontré d’une manière décisive l’inanité de la doctrine de Semper, qui limitait nos fonctions créatrices à la solution des problèmes d’ordre technique, et qui présentait les artistes comme des tributaires des matières que la nature mettait à leur portée. Semper croyait trouver dans les textiles ou bien dans la vannerie les origines du style géométrique. Riegl a prouvé que les hommes des cavernes faisaient un large usage du style géométrique, tout en ignorant le tissage et l’emploi de l’osier. Le cubisme était un continent sur le point d’être conquis. Il importe peu de savoir qui tient dans l’œuvre de cette conquête le rôle héroïque de Colomb et qui en est l’Améric Vespuce. Picasso garde tous ses titres de gloire et les préro gatives qui y sont attachées. Mais des artistes qui, dès 1910 participèrent à la bataille cubiste n’en ont pas moins droit à notre admiration. Ce sont des précurseurs et des initia- teurs. Je répugne à l’histoire, cette science morte, à l’histoire de l’art 'surtout. Je me méfie des dates. La chronologie, tout comme la statistique, appartient au demain des probabilités. Je me désintéressa de la question gratuite, combien gratuite, de la priorité de temps ou bien de rang, de « l’anttriorité ». Mais avant d’étudier les tableaux récents de Marcoussis, j’estime devoir souligner la portée de ses œuvres de jeunesse. En plein cubisme analytique Marcoussis a tenté de rendre l’élément fonal tout son ancien prestige- Par la suite, il a exalté la couleur, il l’a mise en valeur. Ses verres ont l’éclat rutilant des émaux et la splendeur lumineuse des pier a reries. * En 1922 Georges Auric composait (pour prendre congé du jazz) son rag: Adieu New Vork. En 1928 Marcoussis tourne le dos au cubisme orthodoxe, au style : « Ecole Cubiste », adopté par les deux Hémisphères. Cette volte- face n’est pas une régression. Le peintre quitte un chemin, désormais consacré, pour s’engager dans une voie inconnue, pour tenter de nouvelles expériences, pour courir l’aven ture : sa chance ou sa malchance. Marcoussis fait peau neuve et saute à pieds joints dans le no mans land, terre en friches que n’explora encore aucun pionnier. Sans doute obéit-il à sa fatalité. Sans doute tire-t-il panti des connais sances acquises. Sans doute peut-on l’identifier dès qu’on reprend contact avec son œuvre. Nul n’échappe à son sort. Nul ne peut se targuer d’avoir transgressé ses limites. Il n’en reste pas moins que Louis Marcoussis n’a donné la véritable mesure de son talent que le jour où il a renoncé à l’emploi exclusif du répertoire cubiste, le jour où il a résolu de donner libre cours à ses facultés naturelles. Jusqu’à oe stade de son évolution, ce peintre, hanté de poésie, inserrait ses thèmes et ses données lyriques, dans les frontières rigides d’une forme préétablie, d’un moule, d’un gabarit. Le conflit entre l’élément plastique, entre le rythme de beauté et une figuration magique et dramatique était pareeptible dans la plupart de ses toiles- Or ce conflit a été applani. Marcoussis a compris qu’il ne pouvait atteindre la vérité profonde, qu’en écoutant les appels de son cœur. *** Son art gagne en intensité ce qu’il perd en mesure. M arcoussis abandonne un mode qui comportait une inter prétation de la réalité, conforme, sinon aux apparences, aux lois régissant le mécanisme de l’œil, du moins à la logique. Le cubisme n’est qu’un surnaturisme, une vision neuve des faits, soumis à l’action d’une analyse ardente, une recon struction de l’univers visible, un style elliptique, un code secret, susceptible d’être traduit en chiffres, connus de tous. W Je sais combien une thèse semblable risque de paraître puérile et primaire. Le cubisme a ses prêtres fanatiques et ses thuriféraires, ceux qui prétendent détenir l’unique clef du mystère, ceux qui contribuèrent à l’élaboration de la nouvelle poétique. Je ne nie pas l’apport du style cubiste. Je connais la valeur physique de ses conquêtes. Je sais quelles sont ses possibilités, quel est son potentiel d’avenir. Mais je constate que pour vivre, pour poursuivre sa mission esthétique, toute forme doit se transmuter et se transfigurer. Le phénomène de transsubstantiation est une loi que subis sent les styles et les manières, les Etats et les Peuples, les religions et les philosophies. ** * C’est en vain qu’on chercherait dans les tableaux que Louis Marcoussis livrera au public, lors de sa prochaine exposition, cette cadence organique qui liait les formes les unes aux autres et qui scellait l’unité de la surface. Point de rimes plastiques, basées, sur des associations d’objets, voire d’images. Point d’assonnances, d’analogies occultes ou de répétitions. Des épures linéaires. Une écriture tran chante, celle d’un homme qui énonce sa pensée avec force, des formes à claire-voie que supporte une armature spatiale de plans opaques. Marcoussis ne s’adresse désormais qu’à 8