99 P. P. C. Vous m’avez prié de situer la personnalité de . Picasso par rapport à l’art contemporain. D’au tres que moi me semblent plus compétents pour répondre à votre questionnaire. Les écrivains- laquais, les fournisseurs habituels du maître se raient tout disposés à saisir une occasion propice pour entonner un hymne à sa gloire. Pourquoi ne pas solliciter leur collaboration? Picasso m’apparaît tout d’abord comme un ine d’esprit alexandrin. Il représente aux yeux de l’opinion publique la jeunesse éternelle. style nouveaux. Ce maniérisme, ce modem style plastique conviennent parfaitement à une généra tion de dilettantes, de versificateurs, de brillants essayistes qui confondent volontiers poésie et gra phologie. Escamoteur, prestigiditateur, mais pion nier avant tout, Picasso représente le génie subversif qui échappe aux classifications, qui brise tous les cadres, qui transgresse toutes les normes. Martyr et Prométhée, ce révolté rachète les fautes du genre humain. Son art n’est-il pas une œuvre de rédemption? phénom man lassitude et de sénilité. Picasso l’homme-phénix est le pourvoyeur d’une époque amorale, frelatée et avide de sensations violentes. Cette époque éprise de Giovinezza, car incapable d’être jeune, se flatte aujourd’hui de prendre conscience meme réalise, au m m vention. Elle paie l’aman à ceux qui lui pro ses morts sucessives et ses ré surrections n’évoquent-elles pas le cas de Notre Seigneur? Le mythe de Picasso est lié étroitement à la lé gende dorée de la Place Ravignan. Qu’il fasse le beau, qu’il nargue, du moins en apparence, un public fait à son exacte mesure, ou qu’il menace de nous dynamiter, Picasso conserve intacts ses titres et ses prérogatives d’augure et du grand ini tié. (Le problème Picasso tourne tout entier autour de cette fable incongrue de Messie, d’homme élu, d’envoyé du destin.) Une société, une civilisation, vouées à la mort, à diguent une pâture adéquate à ses vils besoins. Elle la décrépitude, se raccrochent à un art qui a perdu son centre de gravité. Picasso, ce génie isolé, ce météore, qui crève un ciel sans tâches, est pratique volontiers l’éclectisme et le polythéisme. Après avoir nié le principe même de dieu, elle adore les idoles. Epoque femelle, passive, elle épuise, peu à peu, ses ressources, ses riches- que incapable d’atteindre à l’archétype et de con- image ses. Mais elle refuse d’accepter le non-être. Elle se drogue, elle se dope. Picasso est son peintre. Que dis-je? Il est sa chose. C’est un homme libre. Il ne connaît ni frein, ni contrainte, ni retenue. Il n’a pas de scrupules. Il s’exprime pleinement, intégralement. Cette liberté qui passe pour une vertu, est un préjugé primaire et roman tique, tout comme le préjugé de la révolution con tinue, permanente. L’homme fort avance lente ment et prudemment. Il parfait ses moyens, il les intériorise. Il ne sème pas au vent, sa sève trop abondante. Fécondité n’est pas synonyme de puis- cevoir un canon absolu. La liberté de M. Picasso est une sinistre duperie. Cette liberté voulue et préconçue, mais conquise sans efforts et sans difficulté est un libertinage. Si Picasso laisse entrer en franchise dans le corps de son œuvre les plus récents articles de poésie (et s’il les restitue dotés d’un sens plus pur) s’il suffit à toutes les inquiétudes, s’il étanche tous les cœurs mal d’évasion ou de sublimation isme sance. Picasso et son temps la danse, Pi casso et Einstein (lisez : la théorie de la relativi té), Picasso et la guerre, Picasso et la philosophie! Tels sont les thèmes variés et multiformes que je propose à la méditation des scribes picassolâtres. Or, qu’est-ce que Picasso? Un symptôme du gé nie fin-de-siècle toujours vivace et actuel, du sa- non-conformisme qui devient un tanisme et du de poncif, e un goût immodéré du symbolisme, l’écriture artiste, comme disaient les Goncourt. Ce penchant pour le choix des procédés poétiques équivoques, digne des poètes maudits, de la rime difficile et de l’épithète rare est aisément masqué par un vocabulaire, par un répertoire et par un nous, demeure-t-il l’axe et la pierre angulaire de la peinture, message de l’intelligence, vision de l’univers? Je ne nie pas que Picasso le fut. L’est-il encore? J’en doute. Le serait-il que cette place si enviable, à son gré, d’animateur, de chef, ne prouverait pas grand’chose. M. Picasso est beau coup trop rivé à l’époque dont il est l’attribut et le faible, le débile, mais l’honnête porte-parole, pour avoir le sens de ce qui est humain, de ce qui est- éternel, pour viser à l’universalité. Peintre de la vie moderne, il l’est, dans son domaine, comme le furent dans le leur tels grands artistes de genre. Au lieu d’être une construction de l’esprit, son œuvre peint est un documentaire. Picasso, astre de toute première grandeur, n’est peut-être qu’une étoile filante. WALDEMAR GEORGE